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Trabson : une future renaissance ?

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Message  thierry.F Sam 8 Nov - 13:18:02

Trabson : une future renaissance ? Cahp1110

Furieux d’avoir vu leur candidature refusée pour l’adjudication du port de Trabzon, les dirigeants du légendaire club de football Trabzonspor lancent, depuis janvier 2003, une campagne agressive dans les médias régionaux, allant jusqu’à interpeller le gouvernement islamiste du parti AKP. Son vice-président, Erol Tuna, crie au scandale : «c’est une insulte pour le club et une tentative pour empêcher les gens de Trabzon de prendre la gestion du port de leur ville !».

Autour du club de football, dont la participation était symbolique, avait été constitué un consortium entre plusieurs hommes d’affaires et industriels locaux importants, avec la bénédiction de la municipalité, de la Chambre de commerce, de l’Union des Exportateurs de la mer Noire orientale et de l’Union des chambres de métiers et artisans de Trabzon. Ce consensus, apparent, des acteurs économiques trapezontins donnait encore plus de poids à une candidature locale. Car elle témoignait d’une volonté des forces vives de la région de faire sortir celle-ci de la grave crise économique qu’elle subit depuis le début des années 1990.

Décidée et lancée en 1992, la privatisation du port a déjà été annulée à plusieurs reprises. En 1998, après une invalidation de l’adjudication pour insuffisance de repreneur (un seul candidat alors), un consortium s’était monté autour du club du football et avait emporté la mise en juin de la même année. Pour un bail de 30 ans et un montant de 24,5 millions de dollars, ce consortium s’était imposé, mais des conflits insolubles sur la répartition des parts entre les sociétés constitutives de celui-ci avaient torpillé le projet. L’année 2003 aurait pu voir se réaliser le projet tant attendu. Mais, cette fois-ci, la crise entre les actionnaires a de nouveau retardé la production de garanties financières nécessaires à l’enregistrement de la candidature du consortium.

Et pourtant, la privatisation du port n’aura jamais été tant désirée. De l’avis de tous les Trapezontins, elle est la condition nécessaire de sa modernisation, et donc de la revitalisation des flux économiques passant par la ville.

Trabzonspor, l’enjeu d’une affirmation régionale

Revenons dans les années 1970. Le club de football de Trabzonspor remporte à plusieurs reprises le championnat trusté, jusqu’alors, par les trois grands clubs d’Istanbul. Le club aux couleurs bleu-bordeaux devient pour la ville et la région un symbole d’affirmation régionale. Pour les notables locaux qui le soutiennent, c’est aussi une manière de faire un pied de nez à une métropole arrogante et moqueuse. Une sorte de revanche pour ces hommes de la mer Noire à l’accent si fort et reconnaissable, ceux-là même qui occupent, dans le florilège de blagues turques, le rôle que les Belges jouent dans les histoires drôles françaises.

Une histoire d’honneur en quelque sorte, mais aussi d’argent. Car ce succès ne peut cacher le fait que la région de la mer Noire orientale, dont Trabzon est la métropole, souffre économiquement. Le fort pourcentage de gens originaires de cette région parmi les travailleurs immigrés turcs partis en Allemagne en est le signe le plus patent. L’exode des Turcs de la mer Noire vers les centres industriels de l’Europe du Nord, mais aussi et surtout vers les grandes villes de l’Ouest de la Turquie (Istanbul, Ankara, Bursa, ?zmit), s’accentue encore dans les années 1980. Et lorsque le club de Trabzonspor vient jouer dans ces villes, il est sûr de compter dans le stade sur la présence de Trapezontins, contingent exporté de la misère sociale de la région.

Conjonctures défavorables

Dans les années 1980 justement, la guerre entre l’Iran et l’Irak vient couper ce qui restait de la route de la soie, cette voie royale qui, jusqu’au milieu du 19ème siècle, reliait Trabzon la pontique à Tabriz la persane, via Erzurum. C’est pour le port moderne de Trabzon, bâti de 1946 à 1954, une fort mauvaise nouvelle. Depuis le milieu des années 1970, les importations et exportations irakiennes et surtout iraniennes empruntaient, en effet, de plus en plus Trabzon comme port de transit.

L’ouverture d’un poste frontière avec la Géorgie sur le littoral, en 1988, en pleine période de perestroïka, est peut-être une consolation pour la ville, mais pas pour le port. Car la plupart des « visiteurs » de l’Est viennent en autobus par la route littorale reliant Batoumi à Trabzon.

A contrario, l’effondrement du communisme et l’éclatement de l’URSS, qui débouche sur l’indépendance de la république de Géorgie, sont accueillis avec un espoir réel. Synonymes de désenclavement régional, ils ouvrent au port de Trabzon de nouveaux horizons. Ce dernier est sans rival sur le littoral de la mer orientale, car ni le port de Samsun à l’ouest, concurrent régional éclipsé depuis quelques décennies, ni les ports de Poti et de Batoumi, en voie de délabrement dans une Géorgie en proie à la guerre civile, ne peuvent le concurrencer.

Les ports russes du Caucase du Nord-ouest – à l’instar de Sotchi qui signe, en 1994, un accord de coopération économique avec Trabzon- l’ont d’ailleurs compris. L’Arménie, enclavée, voudrait en faire son débouché sur la mer. En 1992 est créée, dans le port de Trabzon, une zone franche portuaire : c’est la cinquième en Turquie, depuis celle du port méditerranéen de Mersin (1987).

Alors que la crise économique continue de sévir, la région ne jure désormais que par les voisins de la CEI. Des perspectives qui sont pourtant fragiles. En 1998, quand le krach financier de l’économie russe se produit, Trabzon est touchée de plein fouet. La part des échanges internationaux dans le trafic du port chute encore.

Les crises monétaires et économiques à répétition que connaît la Turquie jusqu’en 2002 ne font ensuite qu’aggraver le marasme de Trabzon. Désormais, la ville se voit dépassée par ses rivaux régionaux. Poti et Batoumi sont en voie de modernisation, Samsun est aujourd’hui le point d’aboutissement du gigantesque gazoduc sous-marin qui part des côtes russes du Caucase du Nord. Même les petits ports turcs voisins de Rize et Hopa, dont la privatisation a été menée sans bruit, semblent mieux résister.

Si l’on observe aujourd’hui la carte du TRACECA, le projet de réseau de voies de communication Europe-Caucase-Asie mené par l’Union européenne, et auquel la Turquie n’a été intégrée qu’en 2002, le port de Trabzon y est quasiment contourné. Le fiasco de la privatisation du port n’est pas la seule raison de cette marginalisation. L’Union européenne semblait pourtant au départ favorable à ce port qu’elle considérait comme un transit naturel entre Anatolie orientale et fédération de Russie. Une bonne disposition qui n’empêchait pas les Européens de noter l’impérieuse nécessité de l’amélioration du réseau routier autour de Trabzon et d’une double connexion ferroviaire avec le littoral géorgien à l’Est et la ligne Sivas-Erzurum-Kars au Sud.

Aujourd’hui, la route du littoral, conçue à l’époque où la frontière turco-soviétique était fermée, est sous la menace permanente d’éboulements et de glissements de terrains, provoqués par les pluies fréquentes et abondantes dans la région. Les routes traversant les chaînes pontiques vers le sud sont également insuffisamment équipées pour faire face à une augmentation potentielle du trafic routier. Mais, la carence essentielle est ferroviaire. Elle empêche le port de combiner rail et ferry, et freine tout développement des flux nord-sud avec l’Anatolie. Bien que le port soit bénéficiaire pour ces deux dernières années – 2001/2002, sa capacité reste sous-employée.

Eldorado iranien

Certains acteurs régionaux ont pourtant pris le pari de miser sur Trabzon, estimant qu’il est encore temps de corriger les erreurs passées. L’exemple le plus probant est le regain d’intérêt manifesté par l’Iran pour le port.

En mars 2002, une délégation iranienne conduite par le préfet de la province iranienne d’Azerbaïdjan oriental, Yahya Mohammedzade, s’est rendue à Trabzon pour y signer des accords commerciaux avec la Chambre de commerce et d’industrie de la ville (TTSO). On envisage, au terme de l’accord, de faire transiter par les ports de Trabzon et de Hopa pour un million de tonnes de marchandises, ce montant devant être progressivement augmenté jusqu’à atteindre trois millions de tonnes dans les années suivantes. En provenance du Danube, via la mer Noire, ces marchandises seront ensuite acheminées par camions turcs et iraniens jusqu’à la ville iranienne de Bender Anzali.

Pragmatiques, les Iraniens s’accommodent donc des conditions actuelles d’utilisation du port, satisfaits en particulier de la possibilité de passer par une zone franche portuaire, tout en optant pour un mode de transport terrestre jugé, par certains, rudimentaire.

Cette perspective de collaboration est perçue à Trabzon comme une dernière chance pour le port. Ali Osman Ulusoy – originaire d’une famille de la région orientale de la mer Noire qui a construit un groupe éponyme de transport sur route et mer de taille internationale, et qui est par ailleurs un des dirigeants de la Chambre de commerce et d’industrie, ainsi que le président du Conseil Economique Mixte turco-iranien, incite les hommes d’affaires de la région à prospecter le marché iranien. Il pourrait devenir dans un avenir très proche pour Trabzon « un deuxième marché russe ». « Il s’agit, ajoute t-il, d’un pays voisin à la population jeune, ce qui permet d’envisager une augmentation forte de sa consommation ». Autres avantages et non des moindres : les richesses énergétiques de l’Iran, le fait qu’il soit le seul pays à ne pas demander de visa pour les Turcs, et l’existence d’une législation iranienne en vigueur permettant la création de sociétés à capitaux à 100% étranger.

Quant à Çetin Nuhoglu, président de l’Union Internationale des Transporteurs (UND), il souligne la place importante que pourrait prendre, dans un avenir proche, Trabzon dans un projet alternatif de réseau de communications de direction Nord-Sud, reliant la Russie, l’Iran et l’Inde et défini par ces trois pays. Ce projet, explique-t-il, doit être conçu pour Trabzon comme complémentaire et non concurrentiel par rapport au projet européen TRACECA. Toutefois, comme Ulusoy, il juge absolument nécessaire une privatisation du port qui, seule, permettrait sa modernisation.

Au-delà des perspectives économiques, on peut pourtant se demander si la question trapezontine n’est pas davantage politique et idéologique. Lorsqu’il intéressait les investisseurs arméniens, grecs ou russes, le port de Trabzon se heurtait à un forme de tabou idéologique. Certains milieux accusaient les Grecs, encouragés par les Grecs exilés de la région, de chercher à créer une république pontique sur le littoral de la mer Noire. De même, l’intérêt du gouvernement et des acteurs économiques arméniens pour le port était censé cacher une volonté de reprendre pied dans la région en la contrôlant économiquement, pour mieux l’asservir politiquement ensuite. L’histoire et la mémoire tragique des derniers jours de l’Empire ottoman étaient également invoquées pour mieux démasquer les éventuelles arrière-pensées malveillantes des uns et des autres.

Qui sait si le régime de la république islamique d’Iran ne fera pas lui aussi un excellent épouvantail pour dissuader les Trapezontins d’inscrire la renaissance économique de leur région dans une géographie régionale, donnant raison à ceux qui pensent que sur le littoral pontique, l’histoire est plus prégnante que la géographie ?
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