Léon Tolstoï
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Léon Tolstoï
Léon Tolstoï (9 septembre 1828 à Iasnaïa Poliana en Russie - 20 novembre 1910 à Astapovo) est un des écrivains majeurs de la littérature russe.
Le comte Lev Nikolaïevitch Tolstoï, en russe : Лев Николаевич Толстой, francisé en Léon Tolstoï, est, avec Fedor Dostoïevski, un des géants de la seconde partie de la période connue comme l'âge d'or de la littérature russe (débutant en 1820, avec les premières œuvres de son cousin Pouchkine, et se terminant en 1880 avec les dernières grandes oeuvres de Dostoïevski). Ses œuvres les plus connues sont les romans Guerre et Paix, Anna Karénine et Résurrection.
Léon Tolstoï est le fils de Marie Sergueievitch Volkonsky mariée à trente-deux ans à Nicolas Ilitch Tolstoï, un jeune homme désargenté. De cette union naquirent quatre fils : Serge, Nicolas, Dimitri, Léon et une fille, Mariec 1. Peu de temps après la naissance de Marie, alors que Léon n'avait que dix-huit mois, la jeune femme mourut d'une fièvre puerpérale.
Jusqu'à huit ans et demi, Léon ne connut que la campagne, la famille et les petits paysans. Il apprit l'arithmétique, ainsi que, partiellement, le français, l'allemand et le russe. Puis la ville attira la fratrie, pour qu'elle y reçoive une éducation de qualité. Pourtant, avant même d'avoir pu s'habituer à cette nouvelle vie, la famille dut affronter un nouveau malheur ; le 21 juin 1837 le père meurt soudainement en pleine rue. L'année suivante leur grand-mère connait le même destin. Consécutivement à un autre décès, celui d'Alexandra Ilinichna Osten-Sacken, une tante qui fut nommé tutrice, sa sœur Pélagie Ilinichna Youchkov la remplaça dans ce rôle. Cette dernière habitant Kazan, au bord de la Volga, la famille Tolstoï s'y installa.
En 1844, Léon, âgé de seize ans, s'inscrit à la faculté des langues orientales dépendant de l'université de Kazan en pensant devenir diplomate. Mais très vite les études l'ennuyèrent, et après avoir été ajourné à ses examens, il se tourne vers la faculté de droit où il n'obtient guère de succès. Il constatait très tôt que l'enseignement reçu ne l'intéressait pas, seules ses lectures personnelles, nombreuses et variées (histoire, traités philosophiques), éveillaient en lui une insatisfaite curiosité.
Il tint rapidement un journal personnel, ainsi qu'un recueil de règles de conduite qu'il nourrissait quotidiennement et y faisait référence tout aussi fréquemment. Ses sentiments et ses frustrations l'emportèrent dans ce désir de perfection plus que de droiture. Sa beauté même venait à le chagriner, alors qu'il se désolait d'un physique ingrat. Il écrivit à ce propos :
« Je suis laid, gauche, malpropre et sans vernis mondain. Je suis irritable, désagréable pour les autres, prétentieux, intolérant et timide comme un enfant. Je suis ignorant. Ce que je sais, je l'ai appris par-ci, par-là, sans suite et encore si peu ! [...] Mais il y a une chose que j'aime plus que le bien : c'est la gloire. Je suis si ambitieux que s'il me fallait choisir entre la gloire et la vertu, je crois bien que le choisirais la première. »
— Journal, 7 juillet 1854
Cette ambition ne s'exprima pas immédiatement, et lorsqu'il quitta l'université en 1847, à dix-neuf ans, il pensait trouver dans les travaux des champs et la bienfaisance sa raison d'être. Pourtant, de ceux-ci il se détourna vite, préférant une vie décousue de Toula à Moscou, rythmée par le jeu (de cartes surtout) et l'alcool.
Ses liens avec son frère aîné Nicolas, qui avait intégré l'armée, l'emmenèrent au combat dans le Caucase, face aux montagnards dirigés par le chef rebelle Chamil. Il y vécut l'aventure et la gloire qu'espéraient tant de jeunes gens de son âge. Il relata plus tard son expérience dans Les Cosaques. Mais dans l'immédiat ses souvenirs d'enfance le préoccupaient davantage. Il en fit un récit, Enfance, qu'il envoya au directeur de la revue le Contemporain, Nekrassov qui lui répondit favorablement le 29 août 1852. Le roman connaît un franc succès. Très vite il entreprend la suite : Adolescence publiée en 1854, puis Jeunesse en 1855.
Le succès aurait pu le convaincre que son destin fût celui d'écrivain. Pourtant cette idée lui paraît d'autant plus absurde que son attirance pour l'action l'empêche de se penser comme simple homme de plume. La Russie venant de déclarer la guerre à la Turquie, Léon laissa ses amis cosaques et rejoint son régiment en Bessarabie. Il y fut dirigé en Crimée, où il connut le danger, qui l'exaltait et le scandalisait à la fois. Les massacres révoltaient l'homme pressé. Cette impatience fut soulagée par la chute de Sébastopol, qui le dégoûta définitivement du métier militaire. Il en composa trois récits, Sébastopol en décembre 1854, mai et août 1855, qui émurent l'impératrice, et furent traduits en français à la demande d'Alexandre II.
En novembre 1855, Léon Tolstoï fut envoyé comme courrier à Saint-Pétersbourg. Tourguéniev le reçut, l'hébergea, et Léon fréquentait grâce à lui les cercles d'écrivains populaires de l'époque, mais s'en détourna rapidement, son humeur le rendant irritable à chaque échange. Il se retira à Iasnaïa Poliana pour vivre plus paisiblement, tout en formulant le souhait de fonder un foyer, qu'il percevait nécessaire à son équilibre physique et moral. La mort de son frère Dimitri, suite à une tuberculose, l'en convainquit.
Son obsession de la solitude, son horreur de la sexualité décomplexée et malgré tout sa ferme volonté de fonder un foyer, firent de Tolstoï un homme aux sentiments amoureux complexes, mêlant amour impossible à amour foudroyant. Amour impossible d'abord, puisque l'homme ne parvint pas aisément à trouver cette vénérée stabilité ; foudroyant ensuite lorsqu'il mena sa vie avec Sophie.
Il rencontra Ivan Tourguéniev à Paris, où il arriva en février 1857, qui lui fit connaître les arts et la culture françaises qui l'amusaient et l'agaçaient. Il décida de partir pour la Suisse, où il connut sa tante au second degré, Alexandrine Tolstoï, dont il admirait l'intelligence, avant de revenir en Russie puis de repartir, le 25 juin 1860 pour l'Allemagne, où il effectua des travaux d'inspection des écoles, des études de méthodes pédagogiques. Son frère Nicolas, souffrant de la tuberculose, mourut le 20 septembre de cette même année. Léon Tolstoï continua malgré tout ses investigations, parcourant l'Europe, de Marseille à Rome, de Paris à Londres où il rendit visite à Herzen, ainsi qu'à Bruxelles où il rencontra Proudhon.
L'abolition du servage, opérée par Alexandre II le 19 février 1861 enchanta Tolstoï tout en lui faisant craindre que cet évènement ne débouchât sur une révolte populairec 5. Cet évènement lui permit par ailleurs d'exercer la fonction d'arbitre de paix, chargé de régler les contentieux entre propriétaires fonciers et les serfs dans le district de Krapivna. L'oisiveté sentimentale de Léon fut abrégée par sa rencontre avec Sophie Bers, fille d'André Estafiévitch Bers, médecin attaché à l'administration du palais impérial de Moscou. Et Tolstoï d'écrire à propos de cet évènement :
« Moi, vieil imbécile édenté, je suis tombé amoureux. »
— à sa tante, le 7 septembre 1862
Sa liaison avec Sophie, de seize ans sa cadette, fut d'autant plus improbable que l'attachement que Léon vouait à la solitude, sa forte personnalité, et son passé tumultueux faisaient de cet engagement amoureux une folie. La veille du mariage, Léon fit lire à Sophie le Journal dans lequel il détaillait ses pires défauts. Ceci ne découragea pas la jeune femme, et le 23 septembre 1862, les fiancés se marièrent à l'église de la Nativité de la Vierge.
Installé à Iasnaïa Poliana, le couple connut des jours heureux, quiétude que Léon assure n'avoir pas vécue jusqu'alors. Ce calme, bien qu'il eu souvent fait souffrir Sophie, citadine de cœur, a permis à Tolstoï d'atteindre la sérénité de l'écrivain. Il publia alors Les Cosaques (1863), puis commença d'écrire La Guerre et la Paix qui intitulé d'abord l'Année 1805. Après s'être rendu sur le champ de bataille de Borodino, et s'être documenté à Moscou, il revint à Iasnaïa Poliana pour continuer d'écrire, avec une rigueur étonnante. Reprenant plusieurs fois des passages entiers de la Guerre et la Paix, il parvint à achever d'écrire le sixième et dernier volume de l'ouvrage en 1869c 6.
La même année il vit naître sont troisième fils, baptisé comme lui Léon. Cette période de jouissance contraste bientôt avec la tourmente que l'écrivain vit à la suite d'une prise de conscience soudaine et puissante, celle de n'être qu'un mortel. Cet bouleversement moral se produit alors que Tolstoï voyage pour Penza, lors d'un arrêt dans une auberge de la ville d'Arzamas 1. Léon confia à ce sujet, dans son Journal :
« Brusquement, ma vie s'arrêta... Je n'avais plus de désirs. Je savais qu'il n'y avait rien à désirer. La vérité est que la vie est absurde. J'étais arrivé à l'abîme et je voyais que, devant moi, il n'y avait rien que la mort. Moi, homme bien portant et heureux, je sentais que je ne pouvais plus vivre »
— Journal, septembre 1869
C'est alors que Léon se plongea dans la lecture de philosophes, Schopenhauer en particulier, qu'il apprécia rapidement. Il fit, alors, de nombreux projets, entama la rédaction d'un syllabaire, rouvrit une école notamment. Cette effervescence cachait en réalité un profond vide causé par l'achèvement de son œuvre Guerre et la Paix. Le talent de Tolstoï fut bientôt concentré sur un dessein, celui de rédiger un "roman sur la vie contemporaine et dont le sujet serait une femme infidèle". Le projet de rédaction d'Anna Karénine naquit après que Léon eu parcouru les Récits de Bielkine de Pouchkine, en mars 1873, que son fils Serge lisait alors.
La rédaction d'Anna Karénine alla pourtant lentement, interrompue par de nombreux drames de famille. En novembre 1873 le dernier-né des Tolstoï, Pierre, mourut âgé de dix-huit mois, emporté par le croup (diphtérie). L'année suivante Nicolas, le cinquième fils ne vécu guère plus d'un an, hydrocéphale de naissance. Sophie, malade, fit une fausse couche peu de temps après, puis deux tantes (Toinette et Pélagie Youchkov) moururent. Cet amoncèlement de tragédies retarda la parution du roman mais ne l'empêcha pas, et l'entêtement de Léon eu raison de son scepticisme, voire de son dégoût pour l'œuvre qu'il venait de faire naître, qu'il jugea « exécrable ». La critique en fit autrement et l'accueillit favorablement. Comme après avoir achevé l'écriture du précédent roman, il connut une période trouble, où les considérations philosophiques qu'il avait mêlées aux évènements romanesques dans Anna Karénine avaient accouché d'une pensée éthico-religieuse.
Ses premières publications sont des récits autobiographiques (Enfance et Adolescence) (1852-1856). Ils rapportent comment un enfant, fils de riches propriétaires terriens, réalise lentement ce qui le sépare de ses camarades de jeu paysans. Plus tard, vers 1883, il rejette ces livres comme étant trop sentimentaux, une bonne partie de sa vie y étant révélée et décide de vivre comme un paysan en se débarrassant aussi de ses possessions matérielles héritées, qui étaient pourtant nombreuses, ayant acquis le titre de comte. Avec le temps, il sera de plus en plus guidé par une existence simple et spirituelle.
Il est frappé dès son enfance par le sentiment de l'absurdité de la vie (à la suite de la mort de son père) et il refuse l'hypocrisie des relations sociales. Le sentiment moral est ce qu'il y a de véritablement divin : toute la morale de Tolstoï est fondée sur ce sentiment. Par ailleurs, Tolstoï rejette l'État et l'Église. Si certains ont pu rapprocher la pensée de Tolstoï d'un nihilisme fondé sur une morale personnelle, d'autres ont fait de l'écrivain russe un penseur important et influent de l'anarchisme chrétien: en effet, sa critique radicale de l'État, ses préoccupations envers les masses opprimées, l'importance de ses réalisations pédagogiques, sa recherche de cohérence sur le plan personnel, en ont fait un penseur proche de l'anarchisme. Par ailleurs, il conçoit l'art véritable comme étranger à la recherche du plaisir purement esthétique : l'art est un moyen de communication des émotions et d'union entre les hommes. Aussi critique-t-il l'art pour l'art, la beauté bourgeoise inaccessible aux gens simples.
Marqué par les conflits comme la Guerre de Crimée (1853-1856) durant laquelle il a été mobilisé, relatée dans "Récits de Sébastopol", ou les conflits passés telles les Guerres Napoléoniennes, qui constituent la trame d'une de ses œuvres majeures: "Guerre et Paix", Tolstoï entame à partir des années 1870 une sorte d'introspection, en forme de quête spirituelle. En 1879, Tolstoï se convertit au christianisme qu'il évoque dans "Ma confession" et "Ma religion", mais il est très critique par rapport à l'église orthodoxe russe : son christianisme reste empreint de rationalisme, la religion étant toujours chez lui un sujet de violents débats internes, ce qui l'amènera à concevoir un christianisme détaché du matérialisme et surtout non-violent. Sa critique des institutions oppressives et sources de violence inspirera le Mahatma Gandhi, ainsi que Romain Rolland. Leur message sera ensuite repris par Martin Luther King, Steve Biko, Aung San Suu Kyi, Nelson Mandela et bien d'autres. Gandhi traduira l'œuvre de Tolstoï "Lettre à un Hindou" en 1908, où l'écrivain russe dénonce des actes de violence de nationalistes indiens en Afrique du Sud ; ceci amènera Gandhi et Tolstoï à communiquer jusqu'à la mort de Tolstoï. De même, Rolland publiera peu après le décès de Tolstoï sa biographie: "Vie de Tolstoï". On constate là des liens subtils entre diverses personnalités imprégnées d'idées progressistes et humanistes qui en inspirent d'autres et qui ne font qu'améliorer le sort du monde.
De son côté, l'église orthodoxe va excommunier Tolstoï après la publication de son œuvre "Résurrection".
À la fin de sa vie, Tolstoï part en vagabond, attrape froid et meurt d'une pneumonie dans la solitude, à la gare d'Astapovo, loin de sa propriété de Iasnaïa Poliana et de sa famille, y compris sa femme Sophie Behrs qu'il refusera de voir. Pourtant ils s'autorisaient chacun à lire le journal intime de l'autre et ont eu treize enfants ensemble (cinq meurent en bas âge), mais Sophie était aussi celle qui dirigeait le domaine, donc assez autoritaire.
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