LES ORIGINES DE L'AME RUSSE vol 2
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LES ORIGINES DE L'AME RUSSE vol 2
La période de stabilité et d’expansion pacifique fut de très courte durée. Au début du XIIIième siècle, des peuples nomades, les Tatars et les Mongols, distincts par leur langue, occupaient une région s’étendant de l’actuelle Mongolie aux rives du lac Baïkal. En 1206, une assemblée de chefs de clans mit à sa tête un Mongol, répondant au nom de Temudjin, qui se vit attribuer le titre de Genghis Khan (Seigneur océan). Tous derrière lui, ils décidèrent de conquérir un immense empire sur l’Asie et l’Europe. En moins de vingt deux ans, de 1206 à 1222, ils envahirent le nord de la Chine, soumirent plusieurs royaumes et empires d’Asie centrale, depuis l’Afghanistan jusqu’à l’Iran et lancèrent des opération de reconnaissance dans la plaine de Kouban (Caucase du Nord). Deux vagues de conquête allaient permettre aux Mongols de soumettre les russes. Au printemps 1223, dix huit princes de la Russie méridionale et occidentale se mirent en marche avec leurs alliés polovets. La première bataille eut lieu sur la Kalka (à l’ouest du Don et de la mer d’Azov), le 31 mai 1223. Les russes furent écrasés, perdant neuf de leurs princes et la moitié de leurs soldats. Pourtant, au lieu de poursuivre en direction de Kiev, les mongols poursuivirent leur route vers les steppes. Durant 15 ans, les princes russes ne profitèrent pas de cette surprenante décision mongole pour se rétablir et s’occupèrent plutôt de se disputer pour l’hégémonie sur la principauté de Kiev. Il y avait trois grands centres de pouvoir : Kiev, Novgorod et Vladimir-sur-la-Kliazma. Kiev étant affaiblie par la défaite contre les mongols, la principauté ne put forcer les autres royaumes rivaux de disputer son hégémonie. Au bout de 15 ans, un événement majeur scella leur destin. Genghis Khan mourut le 18 août 1227. Plusieurs assemblées furent nécessaires pour élire à sa place, au printemps 1229, son fils Ogoday, qui, aussitôt élu, confia à son neveu, Batu, la mission de conquérir l’Europe et en premier lieu ce qu’il fallait alors bien appeler les pays russes. Cette armée, forte de 140 000 hommes, était composée de redoutables cavaliers, des archers habiles, possédait des armes de siège telles que des catapultes, des béliers et des feu grégeois (mélange de souffre, de poix et de salpêtre), et était d’une mobilité extrême. Face à eux, les russes leur opposaient 100 000 hommes dont les princes étaient divisés et dont la principale caractéristique était l’absence de coordination. L’armée russe ne possédait pas de stratèges et n’avait pas théorisé la guerre puisque à l’origine, elle n’avait pas eu à combattre pour se défendre depuis la prise de la Crimée aux empereurs byzantins. Aussi, l’offensive mongole fut fulgurante. Ils attaquèrent la Russie durant l’hiver 1237, à partir du territoire de Riazan, ville qui tomba le 21 décembre. Impressionné, le grand-prince Vladimir Iouri Vsevolodovitch se replia au nord en catastrophe, abandonnant sa propre capitale. La ville tint à peine cinq jours (3-7 février 1238) et la plupart de ses défenseurs furent massacrés. Le 4 mars, ils combattirent Iouri Vsevolodovitch et le tuèrent et avancèrent ensuite jusqu’à 100 kilomètres de Novgorod, avant d’obliquer vers le sud, épargnant la cité.
Batu lança un second assaut contre la Russie au début de 1239, à l’est de Kiev. Pereiaslavl fut prise le 3 mars, puis Tchernigov le 18 octobre. Kiev tomba ensuite le 6 décembre. Les principautés de Galicie et de Volbynie n’opposèrent que des résistances symboliques. La Russie de Kiev était tombée sous le joug mongol. Le 9 avril 1241, les mongols vainquirent à Legnica, en Silésie, au sud-ouest de l’actuelle Pologne, une armée qui réunissait des polonais, des tchèques et des chevaliers teutoniques, emmenés par Henri le Pieux, duc de Silésie, puis les hongrois à Muhi. En janvier 1242, Batu prit pied en Croatie. A la mort de Ogoday, l’empire mongol s’étendait de la Méditerranée au Pacifique et des forêts de Sibérie à l’Indus et elle avait pour capitale Karakorum, sur l’Orkhon, en Mongolie, jusqu’en 1264, date à laquelle les Mongols l’établirent à Pékin. La partie la plus occidentale de l’empire prit le nom de Horde d’or. Une politique de peuplement entraîna un bouleversement ethnique sur le territoire : les mongols devinrent majoritaires et la langue turque s’imposa rapidement au détriment du mongol, pour des raisons d’efficacité administrative. Cette partie de l’empire fut attribuée à Batu et à ses descendants. La domination mongole fut brutale : pillages de villes, dont Riazan, Vladimir-sur-la Kliazma et Kiev, pogroms anti-russes, viols et tortures furent des pratiques courantes dans les années qui suivirent. En 1245, il ne restait que 200 maisons à Kiev. Les Tatars, alliés des mongols, enrôlèrent de force des russes pour leurs campagnes militaires et emmenèrent en Mongolie les artisans et les artistes. Pourtant, au nord, la résistance s’organisa autour d’Alexandre Nevski. Celui-ci vainquit les suédois en 1240 et les chevaliers Teutoniques en 1242 qui voulaient s’emparer des lambeaux de la Russie. De leurs côtés, les villes de Novgorod, Pskov et de Smolensk se lièrent aux cités commerçantes de la Baltique dans la seconde moitié du XIIIième siècles pour se protéger contre les attaques mongoles. Très vite aussi, sur le territoire conquis, les Tatars décidèrent de ne pas bouleverser les deux piliers de la civilisation kievienne : son système politique, fondé sur une dynastie unique dont les différentes branches régnaient sur chaque principauté, et son église, orthodoxe, subordonnée au patriarcat byzantin. Ainsi s’installa une semi-liberté décisionnelle soumise au regard inquisiteur des Tatars et sur laquelle pendait l’épée de Damoclès que représentait l’armée mongole. Ainsi, en 1246, le prince Mikhail Vsevolodovitch, prince de Tchernigov, fut exécuté pour avoir refusé d’adorer les idoles païennes. En effet, au niveau religieux, les russes durent souffrir de l’hétérogénéité religieuse mongole. Mongols et tatars pratiquaient tout à la fois le chamanisme mongol, le christianisme nestorien, le bouddhisme, le taoïsme et l’Islam, diversité qui s’accentua au fil des conquêtes. Lorsque le frère de Batu, Berke, lui succédât en 1255, il se convertit à l’Islam et entreprit d’islamiser le territoire de la Horde d’or au début du XIVième siècle. Quand aux russes, ils durent fournir des troupes auxiliaires et verser des tributs pour équiper les armées mongoles. Au niveau du commerce, ils furent assujettis à des droits de passage sur les marchandises, à des corvées de transports et au service de la poste qui couvrait d’un réseau l’ensemble de l’empire mongol. C’est à ce prix, que la Russie de Kiev devint la marche occidentale d’un vaste empire eurasien.
Au nord, Alexandre Nevski, devenu Grand-Prince de Vladimir, dut faire face à une fronde organisée par son frère André. Devant le risque de voir sa petite principauté, héritière de la Russie de Kiev, volée en éclat, il s’entendit avec les Tatars pour le vaincre. Il préféra donc la collaboration avec les Tatars à la résistance qui, si les mongols décidaient de l’attaquer, était sans espoir. Ainsi, il pensait défendre la cause orthodoxe. Pourtant, la défaite de son frère ne marqua pas la fin des conflits puisqu’il lutta durant tout son règne (1252-1263) pour imposer sa ligne politique et l’unité du territoire. L’opposition la plus rude se manifesta à Novgorod en 1262. Elle souleva les plus pauvres dans les villes de Rostov, Vladimir, Souzdal et Iaroslav qui devaient faire face à la famine (les Tatars contrôlaient les immenses étendues de culture et pratiquaient ponctuellement une politique de famine pour mieux assouvir le peuple russe) et il les vainquit avec l’aide des mongols. Il finit par prendre l’habit monacal avant de mourir le 14 novembre 1263. Dans son oraison funèbre, le métropolite Cyrille le décrivit comme un saint. C’est ainsi qu’il entra dans la légende politico-religieuse russe, tel un saint-guerrier qui avait sauvé la Russie. Son fils cadet, Daniel, prit la relève et devint Premier-prince de Moscou et il étendit son territoire face à des aînés et des cousins dont les armées étaient pourtant bien plus puissantes. Tout se joua sous l’œil de la Horde d’or qui jugea préférable de ne pas intervenir pour ce qu’ils considéraient être une dispute de famille au sein de leur empire. De plus, la faiblesse des armées en question ne remettait pas en cause sa suprématie. Leurs quelques inquiétudes furent d’ailleurs balayées lorsque le premier fils de Daniel prit pour femme une sœur du Khan Ozbel pour obtenir le pouvoir sur Vladimir, en devint le Grand-prince et il fit tuer à la Horde d’or son adversaire, Mikhaïl de Tver en 1318. Face à la menace qu’il représentait, Novogorod jugea plus prudent d’accepter sa tutelle, craignant que la Horde ne se range contre elle aux côtés de la dynastie de Daniel. Mais les alliances ne s’arrêtaient pas à l’aspect militaire. En effet, l’église orthodoxe lui apporta son soutien, ce qui empêcha bon nombres de révoltes paysannes. En 1328, le Métropolite Théognoste déménagea sa résidence de Vladimir à Moscou, achevant de faire de la ville, la capitale politique et religieuse de la Russie.
Dimitri Ivanovitch (1359-1389) est connu comme le premier prince russe qui remporta une victoire d’envergure sur les Tatars, dont il pensait qu’il était plus que temps de se débarrasser et que la Russie retrouve sa souveraineté. Cela se passa à Koulikovo, le 8 septembre 1380. A l’époque, la Horde d’or était traversée par des querelles intestines, opposant notamment un talentueux capitaine, Mamaï, à un descendant de Genghis Khan, Tokhtamysh. Chacun d’entre eux espérait retirer des richesses de la Russie pour couvrir d’importants besoins d’argent. Solliciter par les deux camps, Dimitri se montra peu enclin à payer tribut, puis, ayant eu des accrochages avec des hommes de Mamaï, il décida d’affronter celui qu’il considérait être un usurpateur à la Horde d’or. La bataille fut acharnée et les russes y perdirent 250 000 hommes. Mamaï avait obtenu le soutien de Jagellon, Grand-prince de Lituanie, mais leur jonction n’eut pas lieu. De son côté, Dimitri n’avait pas pu obtenir le soutien militaire de tous les princes russes. Pourtant, cette victoire retentissante ne permit pas à Dimitri d’obtenir la souveraineté de la Russie et lorsque Tokhtamysh vit le danger, il lança une grande offensive vers le nord. Dimitri abandonna Moscou à son sort sans combattre, ses troupes ayant été décimées par la bataille de Koulikovo. Il finit par payer un tribut majoré et laissa son fils aîné en otage à la Horde d’or durant plusieurs années. Qu’importe, le mythe de l’invincibilité mongole disparaissait à Koulikovo, malgré une nouvelle défaite du Grand-prince de Lituanie Vitovt (Vitautas, 1392-1430), en août 1399, sur la Vorskla, un affluent du Dniepr.
Du côté Tatar, en 1419, à la mort du Khan Edighey, une guerre de succession fragmenta la Horde d’or, ce qui aboutit à la création de trois Khanat autonomes, de Crimée, de Kazan-Astrakhan et de Sibérie. C’est grâce à cette division que les russes ont pu se libérer du joug mongol. Le Grand-prince de Moscou Basile II (1425-1462) promit la protection à des princes Tatars qui faisaient partie des clans des vaincus de la lutte de succession. Il octroya ainsi au jeune Khan Kasim un territoire qui devint le Khanat de Kasimov, entité vassale de Moscou. Son fils, Ivan III (1462-1505), organisa à travers toute la Russie les base d’un Etat moderne, la Moscovie, tout en annexant la plupart des pays russes du Nord-est à l’automne 1480. Et en hiver de la même année, bénéficiant des luttes intestines tatares, il rassembla une armée qui fit reculer une armée tatare pourtant supérieure, celle du Khan Ahmed, sur l’Ougra, aux confins de la Moscovie. Ivan le Terrible acheva de libérer la Russie lorsqu’il s’empara de Kazan en 1552. C’est à cette époque que l’identité russe se concrétisa à travers tout le territoire, que l’orthodoxie reprit ses droit sur tous les russes, qu’elle développa le sentiment d’être perpétuellement menacée par des forces extérieure et que la Russie prit conscience qu’elle avait un destin non plus européen, mais bien eurasiatique. Mais de cette impression d’être en permanence assiégée, elle ne s’en débarrassa jamais. Non seulement Ivan Le Terrible permit la formation de l’identité russe, mais ses victoires à fortes rhétoriques paternalistes et religieuse finit patr assujettir les russes à l’idée que seul un pouvoir autoritaire et militaire pouvait les sauver des hordes venues d’au-delà de l’empire. Comme nous le verrons bientôt, la fin de l’Union soviétique provoqua un électrochoc dans la société russe qui se sentit, à juste titre, humiliée par l’Occident et les institutions internationales, et trahie par Boris Eltsine et sa politique de libéralisation/pillage de la Russie au profit des oligarques qui s’empressèrent à s’installer en occident, laissant dans l’esprit russe un sentiment de trahison.
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