LE TOURISME CHINOIS EN RUSSIE, UNE MIGRATION ECONOMIQUE
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LE TOURISME CHINOIS EN RUSSIE, UNE MIGRATION ECONOMIQUE
Côté russe et côté chinois, les migrations s’organisent désormais autour de multiples canaux. Parmi eux, le «tourisme» apparaît comme l’un des plus efficaces. Fin 1992, le rapprochement politique sino-russe se concrétise par la signature d’un accord visant à supprimer les visas entre les deux pays pour les groupes touristiques. La conséquence est immédiate : un afflux massif de Chinois provenant des provinces du nord-est de la Chine et se rendant en Sibérie orientale et en Extrême-orient russe.
La visibilité de cette vague suscite de vives émotions au sein de la population locale russe. Jusque-là, la périphérie russe était considérée comme une forteresse communiste interdite aux étrangers (la ville de Vladivostok n’a été «ouverte» qu’en 1992). Ce phénomène inquiète d’autant plus les Russes que le déséquilibre démographique entre les provinces chinoises, surpeuplées, et les régions frontalières russes, vides, se révèle considérable et ne cesse de s’accentuer. La peur du voisin chinois rejaillit alors. Car le débat sur la légitimité territoriale des régions du Primorié et de l’Amour, acquises lors de la conquête russe au 19ème siècle, demeure dans la mémoire collective chinoise.
Le canal touristique comme moyen de passage
Au début des années 1990, le canal touristique constitue l’une des principales sources de la migration irrégulière. Il est alors impossible pour les autorités régionales de comptabiliser ces perpétuels mouvements et le dit tourisme se confond dans les faits avec les migrations pendulaires transfrontalières. Les Chinois font ainsi la navette à travers la frontière pour commercer. D’autres s’installent définitivement en Russie. Jusqu’en 1995, ce sont 30 à 50% de ces prétendus «touristes» qui restent en Russie au-delà du terme de leur séjour autorisé par la législation russe.
Les réactions suscitées
La phobie d’une «expansion chinoise» nourrie par ces migrations entraîne les autorités régionales à prendre des mesures plus restrictives qui anticipent d’ailleurs les changements dans les politiques d’immigration et du tourisme réalises au niveau national. En 1994, la loi fédérale «Sur la frontière nationale» et le décret présidentiel «Sur les mesures d’introduction du contrôle de l’immigration» entrent en vigueur et une multitude de postes de contrôle se crée.
Parmi les mesures régionales les plus restrictives, on retient l’importance des contrôles, des mesures d’expulsion et des campagnes médiatiques anti-chinoises. Dès 1996, les délais de séjour accordés aux touristes varient fortement selon les régions. Ces délais constituent des indicateurs pertinents des politiques et, plus largement, du rapport de chacune de ces régions russes à la Chine. La région de Khabarovsk fait preuve d’une relative souplesse, autorisant un séjour d’un mois pour ses touristes. Celle du Primorié n’accorde en revanche qu’un délai de trois jours. Reste que le problème perdure.
Car si les délais de séjour sont dorénavant mieux respectés par les touristes chinois, ces mesures n’endiguent toutefois pas l’immigration illégale en pleine croissance. Par ailleurs, la rigidité de l’administration régionale russe ne fait que renvoyer plus aisément les migrants dans l’illégalité sans néanmoins les contrôler[1].
Une immigration économique
La crise de 1998 et la chute du cours du rouble ont eu pour conséquence de limiter le nombre de ces «touristes» d’affaire, le pouvoir d’achat des populations locales russes ayant été durement touché par la crise en dépit des faibles prix des produits chinois.
Depuis 2000, les difficultés des autorités régionales russes sont moindres. Le canal «touristique» pour l’immigration illégale a été délaissé par les tchelnoki (commerçant-navette) au profit d’un visa commercial en bonne et due forme. Cette évolution correspond aussi à un durcissement de la législation russe qui permet un meilleur contrôle des compagnies touristiques. Les groupes touristiques doivent être composés d’au moins cinq personnes et peuvent rester au maximum 30 jours sans visa.
Les compagnies délivrant des séjours sans visa doivent posséder une licence de tourisme international avec au moins 3 ans d’expérience. Aussi, l’interdiction pour les touristes d’exercer une activité rémunérée est-elle notifiée dans l’accord passé le 29 février 2000 entre les deux Etats. Ce mouvement de contrôle qui touche le tourisme de groupe est concomitant avec le durcissement de la législation au niveau national depuis 2000 concernant la politique de migration et de l’emploi pour les étrangers.
Qu’en est-il du vrai tourisme chinois en Russie ?
Selon le Professeur russe Victor Larine, la déflation du rouble après 1998 aurait favorisé la venue de touristes chinois en Russie[2]. Près de 240.000 touristes chinois[3] se rendent en Extrême-orient russe en 2000. Entre 2001 et 2002, le tourisme chinois atteint son apogée. Pourtant, l’impact de ces déplacements sur l’économie et la société russes reste controversé. Le sinologue Vilia Gelbras conclut au sujet du tourisme chinois qu’il serait globalement plutôt dommageable aux économies formelles des deux pays. Il ne profiterait qu’à l’économie parallèle développée par les communautés chinoises implantées en Russie.
En effet, les circuits touristiques s’organiseraient autour d’infrastructures d’habitation et de transport (hôtels, services, taxis collectifs et autobus, etc.) et créeraient des emplois concentrés dans les seules entreprises chinoises[4]. Enfin, en 2002, le professeur Iwashita Akihiro, spécialiste des relations sino-russes, relève une nouvelle tendance au cours d’une mission effectuée à Blagovechtchensk (capitale de la région de l’Amour) : les courts séjours de groupes de touristes chinois contribuent à la création d’un sentiment négatif à l’égard des Chinois. La fréquentation, selon ce même auteur, des casinos et des prostituées par ces touristes vaut à la ville sa nouvelle appellation de «Las Vegas chinois», ne faisant qu’attiser l’animosité des locaux[5].
[1] T. Akaha & A. Vassilieva, p. 51 ; V. Larine, p. 297.
[2] V. L. Larin, pp. 291-293.
[3] T. Akaha & A. Vassilieva, p. 51.
[4] V. G. Gelbras, pp. 80-84.
[5] I. Akihiro, pp. 150-152.
Bibliographie
Tsuneo Akaha, Anna Vassilieva (ed. by), Crossing National Borders, Human Migration Issues in Northeast Asia, United Nation University Press, Tokyo New York Paris, 2005, 254 p.
Iwashita Akihiro, A 4.000 Kilometer Journey Along the Sino-Russian Border, 21st
Century COE Program Slavic Eurasian Studies no.3, Slavic Research Center, Hokkaido University, Sapporo 2004, 210 p.
V. G. Gelbras, Rossia v ousloviakh globalnoï kitaïskoï migratsii, M. Mouraveï, 2004, 203 p.
A. G. Larine, Kitaïtsy v Rossiï, vtchera i segodnia - Istoritcheskiï otcherk, Moskva, Mouraveï, 2003, 223 p.
V. L. Larine, Rossiïsko-kitaïskie otnochenia v regionalnykh izmereniakh – 80-e gody XX-natchalo XXI veka, M. Vostok-Zapad, 2005, 390 p.
thierry.F- Nombre de messages : 138
Age : 61
Date d'inscription : 10/09/2008
tourisme ou colonisation ?
Le tourisme chinois qui devient un tourisme économique, qui de vient une immigration économique (10 millions de chinois en Sibérie), qui devient majoritaire et... séparatiste, puis rattachiste. Les autorités russe se sont bien rendues compte de l'immensité du problème. Surtout qu'en Ossetie, en renforcement la remise en cause de l'intangébilité des frontières du droit international, ils ont laissé la porte ouverte à un nouveau problème "ossete" à l'envers. De bénéficiaire, la Russie pourrait à l'avenir devenir perdante de ce genre d'exercice.
gerry398- Invité
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