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Petite promenade désabusée à Tirana

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Petite promenade désabusée à Tirana Empty Petite promenade désabusée à Tirana

Message  kostas66 Dim 16 Nov - 20:38:07

Petite promenade désabusée à Tirana Tirana10

Un étrange destin se profile pour Tirana, une ville qui est née et qui s’est développée tant d’années durant en privilégiant idéologiquement « l’espace public ». Cette dimension collective, certes abusive, était loin d’une vision individualiste de la ville.
D’un point de vue urbanistique, l’espace public est avant tout un lieu physique relativement facile à identifier et celui de Tirana a subi des transformations radicales ces dernières années.
La physionomie de l’espace public de la capitale albanaise a été constituée pendant le régime totalitaire. Les places, les rues, les parcs, les stations de bus, les bibliothèques, autant dire tous les espaces où les gens pouvaient circuler librement, devaient avoir une certaine identité, correspondre au cadre de la philosophie urbanistique et architecturale de l’époque. L’espace public de la ville de Tirana se réduit ces dernières années. Tout le monde le constate, à commencer par les habitants de la ville. Tout d’abord par l’envahissement de l’espace par la sphère privé. Le parc « Rinia » (Jeunesse), en plein centre de Tirana, en représente le cas le plus emblématique. Dans les années 1990, il s’est transformé en un champ de bataille où les deux espaces se confrontaient. Aux yeux des habitants ahuris, le parc a été dévoré d’une manière barbare par des bars, des pubs, des restaurants privés en tous genres, où on vendait des boissons alcoolisées, de la bières, de la raki ou de l’ouzo.
La récupération du parc « Rinia » est indubitablement une grande victoire, mais une victoire solitaire. On aurait pu s’en vanter de génération en génération si elle n’avait pas fait que dissimuler les réactions légitimes de citoyens se rebiffant contre l’agonie de l’espace public dans la capitale albanaise. Le parc se donne à voir comme un exemple politique triomphant de la « victoire » de la ville contre les privatisations brutales. Mais ce n’est qu’un cas isolé.
Soulignons également que l’espace public ne peut se définir que par son utilisation. Si, par exemple, un parc ou une place sont fermés en permanence, ils ne peuvent être définis comme des espaces publics. Ainsi, l’espace en Albanie a été constamment mutilé pendant les années de démocratie. Pour des raisons objectives (augmentation du nombre des voitures), urbanistiques (les trottoirs disparaissent s’ils ne rétrécissent pas), mais aussi subjectives (utilisation plus fréquente des voitures).
Blloku (le Bloc), le fameux quartier des dirigeants communistes, connaît une histoire inverse. D’un espace strictement privé – surveillé à l’époque par la Garde de la République – il est devenu un espace public très fréquenté. Dans ce cas, le nouvel espace public doit faire face au chaos, au trafic, aux constructions et restructurations, etc. Notons cependant qu’il manque, dans ce quartier, un parc public. A l’origine, des parcs « privés » entouraient des villas surveillées par des soldats armés. Blloku, était une espèce de parc privé, avec des rues arborées, où se promenaient sans crainte les membres du Politburo albanais. En d’autres termes, nous nous trouvons ici avec un espace public hybride, adapté et non conçu pour ses nouvelles fonctions.
L’espace public de l’époque était composé d’éléments essentiellement idéologiques, où même l’énorme vide avait une fonction totalitaire. Il n’existe actuellement pas de projet semblable, bien que l’idéologie ne soit pas toujours très loin. Il manque à l’espace public d’aujourd’hui une homogénéité – peut-être à cause d’une nébuleuse qui ne s’est pas encore matérialisée – et les éléments idéologiques du passé cohabitent toujours avec la modernité. Une certaine idée de parade a survécu : hier, à pied devant la tribune rose, aujourd’hui en voiture devant les vitrines étincelantes. Le problème est que l’idéologie de l’automobile est aux antipodes de l’espace public. La voiture cultive l’individualisme, on vit replié dans une carapace métallique. La carrosserie, brillante ou griffée, luxueuse ou utilitaire, représente, en réalité, un mur de séparation qui bloque les rapports humains.
L’explosion immobilière
L’urbanisme de l’époque post-totalitariste a dû se confronter à la pression d’un capitalisme féroce livré à lui-même, et qui a trouvé dans l’immobilier le bélier pour faire tomber les portes de l’espace public. Le besoin de logement a été tellement fort qu’il n’a pas laissé le temps nécessaire à l’architecture pour élaborer une quelconque identité nouvelle. On oscille ainsi entre le kitsch et l’éclectisme. La périphérie a été exploitée jusqu’au dernier centimètre, et continue de l’être, pour élever des constructions de toutes sortes, légales ou illégales. Dans ces endroits, l’espace publique est absolument inconnu, si ce n’est dans des coins envahis de boue, de briques et de béton. Les habitants des périphéries ne connaissent ce genre d’espace que par l’intermédiaire des journaux, comme par exemple dans le cas du rond point de « Zogu i Zi » (L’oiseau noir) [1].
L’espace public se transforme en un ring où s’affrontent les pouvoirs politiques. Le parc du « Lac artificiel » est un autre espace d’une valeur symbolique exceptionnelle. Mètre après mètre, bouchée après bouchée, le privé est en train de progressivement le dévorer. La partie qui a miraculeusement survécu le doit à un esthétisme qui favorise le commerce privé. L’espace public est donc soumis au commerce privé, et non l’inverse. La Gare du chemin de fer, n’a jamais rien signifié pour les habitants de Tirana, comme les Thermes pour les Romains ou la gare d’Atocha pour les Madrilènes. Toutefois, surtout pendant l’été, elle prenait de l’importance puisqu’elle servait à rejoindre la mer, ou pour les habitants du reste du pays à rejoindre leurs proches à la capitale à l’occasion de fêtes familiales ou pour résoudre des problèmes personnels. Actuellement, l’embryon de la station initiale n’existe même plus, puisque le système ferroviaire albanais a été condamné à la mort par de récentes politiques qui ont privilégié le transport autoroutier.
Un étrange destin se profile pour cette ville qui est née et qui s’est développée pendant tant d’années avec une certaine idée de l’espace public. Elle fut certes conditionnée par l’idéologie mais loin des abus d’une société entièrement privée. Toutefois, en tant qu’habitant de Tirana, je continue à rêver que ma ville conserve des espaces publics à dimension humaine, comme je persiste à m’imaginer faire de longues promenades dans les rues. Non seulement au centre, mais aussi en banlieue. Marcher sans se fatiguer, si possible entouré de verdure, puis pouvoir se dire à la fin : « Si l’on faisait encore quelques pas ? ». Peut-être même tout seul, avec moi-même.
[1] entrée sud de Tirana

kostas66

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