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La prostitution en Lettonie: Perméabilité législative ou absence de politique sociale ?

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La prostitution en Lettonie: Perméabilité législative ou absence de politique sociale ? Empty La prostitution en Lettonie: Perméabilité législative ou absence de politique sociale ?

Message  emarcel Mar 9 Déc - 19:52:13

La prostitution en Lettonie: Perméabilité législative ou absence de politique sociale ? Prosti10

La prostitution est légale en Lettonie. Son exercice est autorisé à titre individuel, dans une logique de lutte contre le trafic de femmes et d’enfants et contre le proxénétisme. Même si elle est soumise à des règles assez strictes, elle ne constitue pas une profession, les personnes prostituées ne disposant pas de couverture sociale spécifique, et il n’existe pas d’institution gouvernementale d’assistance aux victimes.
Le nombre de personnes prostituées est très élevé, et atteindrait 20.000 personnes, dont moins de 20% d’hommes et seulement 10% de femmes prostituées permanentes et déclarées, en majorité dans la capitale Riga.
La Lettonie est un pays d’origine et de destination du trafic de femmes et d’enfants, dans un mouvement général de déplacement d’est en ouest des victimes, en particulier depuis la Russie et la Biélorussie, et vers le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse, etc.
La prostitution véhicule en Lettonie un certain imaginaire, plus ou moins justifié et entretenu par les médias lettons et européens: fausses annonces d’emploi en Europe de l’Ouest, transformation du centre ville de Riga en quartier rouge à la tombée de la nuit, surreprésentation des Russes et des Latgales dans la population prostituée.

L’action du gouvernement

La Lettonie, comme la plupart des pays de l’Union européenne, pratique un régime dit abolitionniste vis-à-vis de la prostitution: elle a signé en 1992 la Convention des Nations unies de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui. Néanmoins, l’abolitionnisme letton se teinte en pratique d'une dose de réglementarisme en ce qu’il utilise certains moyens de régulation et d’organisation de la prostitution de régimes réglementaristes tels l’Allemagne ou les Pays-Bas[1].

Les premières tentatives de contrôle du commerce de services sexuels dans les années 1990 relevaient des autorités locales, à Riga en particulier, par le seul moyen de la police municipale.
La prostitution a été légalisée par décret du Conseil des ministres en 1998. Les principes qui ont guidé cette décision (restriction à un exercice individuel dans des lieux précis, contrôle médical, interdiction du proxénétisme) se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui sans empêcher l’expansion du phénomène. Le trafic de femmes, constaté depuis le milieu des années 1990, est devenu une infraction en 2000 (sur influence du Conseil de l’Europe) mais n’a cessé d’augmenter (on estime à 1.000 le nombre de femmes lettones quittant le pays chaque année pour être prostituées).

En 2001, des amendements au texte traduisaient en particulier une volonté de contrôle plus aigue: obligation de contrôles médicaux plus fréquents -la personne prostituée devant alors montrer un certificat médical spécifique au client-, accès pour la police aux fichiers des médecins concernant les dossiers des personnes prostituées.
En 2005-2006, des ONG (notamment Marta [2]), puis le Premier Parti de Lettonie (LPP) lançaient le débat sur la pénalisation des clients, suite au bilan de son application en Suède depuis 1999.
En 2007, le gouvernement lançait un programme de lutte contre le développement des maisons closes illégales et nommées officiellement salons de massage ou night-clubs, en vain.

Aussi les années 2000 correspondent-elles à la fois à une prise de conscience du phénomène (création de structures privées d’assistance, premières études sociologiques) et à son explosion avec, en particulier, la transformation de Riga en «capitale du tourisme sexuel» après l’entrée du pays dans l’Union européenne en 2004. Comme le montre le durcissement progressif de la législation, les nombreuses discussions sur la loi ne semblent être pas suivies de mesures suffisantes (lutte contre le trafic, assistance aux personnes prostituées).

La nouvelle loi s’inscrit bien dans cette logique de tentative d’endiguement, alors que l’Etat ne s’engage pas dans une campagne de lutte, d’information et d’éducation coûteuse. Ses objectifs prennent néanmoins une orientation différente, à savoir la suppression des offres dans l’espace public (prostitution de rue et publicité), la réduction de l’accessibilité aux services sexuels, la responsabilisation du client[3], c’est-à-dire une limitation de l’achat de services sexuels dans son ensemble, par réduction de la demande et par création d’obstacles aux mécanismes de ce commerce.
Parallèlement, un projet d’augmentation des peines et amendes en cas d’infraction est débattu en ce moment au Parlement, à l’encontre des proxénètes, des personnes prostituées et des clients.

Régulation ou légalisation ?

Les politiques mises en œuvre jusqu’à aujourd’hui en Lettonie reflètent ouvertement un refus de prohiber ou d’abolir la prostitution qui est ainsi rarement évoquée comme un problème à résoudre. Le système prohibitif pratiqué en Lituanie est ainsi regardé comme un prolongement de la politique soviétique qui aurait «nié le phénomène».
Par ailleurs, malgré la reconnaissance de la valeur du système abolitionniste pratiqué en Suède depuis 1999 parce qu’il responsabilise les clients et qu’il s’accompagne de mesures fortes (aide à la réinsertion, campagnes d’information et d’éducation…), celui-ci est très critiqué en Lettonie par les spécialistes de la prostitution: il favoriserait le tourisme sexuel à l’étranger (vers le Danemark ou la Lettonie) et imposerait une pratique clandestine qui rendrait plus difficile l’assistance aux victimes. Les tentatives d’importation du système suédois ont ainsi toujours échoué.

Pour autant, en Lettonie la législation et son application ne témoignent pas d’un désir de contrôler ou de légaliser ce commerce. Certes, la prostitution est souvent évoquée dans les médias ou dans les discours comme une profession et certains arguments en faveur d’une légalisation plus large sont souvent évoqués (taxation des services sexuels, augmentation du tourisme, meilleur contrôle de l’hygiène, création d’une meilleure image des personnes prostituées) mais, dans les faits, on constate que l’Etat ne désire pas s’engager au-delà d’une simple régulation.

En effet, d’une part presque aucune municipalité n’a utilisé son autorité (prévue par les législations de 1998 et 2001) à définir les zones où la prostitution pouvait s’exercer. D’autre part, l’Etat ne pratiquerait pas de contrôle précis (social, hygiénique…) des conditions réelles de pratique de cette activité. Les quelques centaines de femmes prostituées déclarées auprès du corps médical et en règle justifient alors la liberté individuelle d’exercice de la prostitution, toute autre forme étant prohibée (maison close, proxénétisme, trafic).
L’actuel Premier ministre Ivars Godmanis se prononçait ainsi clairement lors de son mandat de ministre de l’Intérieur en 2007 contre la légalisation des services sexuels, car elle serait contraire aux valeurs humaines et permettrait en fait la prolifération de la prostitution et non sa régulation.

L’appel à la morale

Les discours politiques qui accompagnent la prostitution se réclament souvent de la morale et des valeurs chrétiennes. Aivars Bergmanis, procureur, fait en effet appel dans ses déclarations aux valeurs de la famille et à une démarche chrétienne affirmée («Le prochain pas est le renforcement des valeurs chrétiennes. Les gens doivent croire à quelque chose»). Par ailleurs, Tatjana Kurova (Genders) cite souvent l’exemple de la Finlande où l’Eglise a créé le principal centre de réinsertion des victimes[4].

Iluta Lace (Marta) dénonce à cet égard le report d’une responsabilité morale sur la prostituée qui empêcherait de regarder le problème avec objectivité. Elle interprète la loi comme une protection des clients (les prostituées devant leur garantir leur état de santé, et non réciproquement) ou de la société en général (une partie des actions en direction des personnes prostituées visant non pas à les aider mais à les empêcher de répandre des maladies par leur activité). Les personnes prostituées ne sont alors pas reconnues comme des victimes puisque, contrairement à la Suède, la suppression de leur responsabilité en cas d’infraction n’a pas suivi l’introduction de la pénalisation des clients dans la loi. Certains considèrent même que l’obligation de montrer au clients un certificat médical spécifique est contraire à la Convention des Nations unies de 1949[5].

De fait, la loi telle qu’elle existe aujourd’hui entrave l’exhibition du phénomène dans l’espace public, permet aux voisins d’une prostituée de l’empêcher d’exercer son activité, prohibe la prostitution à proximité des écoles et des églises, interdit les maisons closes.

Y a-t-il une politique sociale de la prostitution spécifique à la Lettonie?

Le système prostitutionnel en Lettonie s’inscrit naturellement dans un contexte international du fait des réseaux transfrontaliers (en janvier 2008 a été démantelé en Lettonie un réseau également implanté en Pologne, en Ukraine et en Moldavie qui envoyait des femmes vers le Royaume-Uni[6]). Néanmoins, la compréhension de ces réseaux et de la coopération internationale conséquente ne résout pas la complexité du problème en Lettonie.
D’une part les modèles européens très contradictoires, suédois d’une part, allemand d’autre part, parce qu’ils sont les plus «aboutis», sont largement évoqués en Lettonie. D’autres pays, comme la Finlande ou l’Estonie, dont les systèmes tendent à se rapprocher du système suédois, possèdent des législations et des initiatives différentes qui inspirent également les décideurs lettons.
D’autre part, on considère en Lettonie que le système abolitionniste suédois a détourné les acheteurs de services sexuels vers la Lettonie en particulier, générant un tourisme sexuel et un business du sexe. Dans ce contexte et au-delà de la critique formulée à l’encontre du système suédois, il se crée une vague pour détourner voire annuler ce flux facilité par l’entrée dans l’UE puis dans l’espace Schengen, au risque de voir certaines prostituées s’établir ailleurs de gré ou de force. En 2005, l’Estonie envisageait de suivre l’expansion de ce système via la Finlande: «Nous n’avons pas d’autre possibilité que de suivre l’exemple, sans quoi nous deviendrions une destination de tourisme sexuel pour les Suédois et les Finlandais», déclarait le ministre estonien de la Justice, Rein Lang, à la fin de 2005. A la manière de l’Estonie, entre absence de conviction et ouverture d’esprit, la politique sociale de la Lettonie semble peu arrêtée et encore largement perméable aux influences extérieures, en particulier suédoises aujourd’hui.

Il semble qu’un des principaux moteurs de l’action du gouvernement dans ce domaine soit l’image du pays et de sa capitale (Vaira Vike Freiberga, Présidente jusqu’en 2007, explique régulièrement qu’il faut corriger cette image peu flatteuse du pays), que les médias nationaux et étrangers présentent souvent comme une destination de tourisme sexuel. Cette réputation semble générer une angoisse chez une partie des décideurs locaux et des acteurs du tourisme qui accusent les journalistes d’avoir créé ce mythe et qui voudraient (avant de lutter contre la prostitution à proprement parler) faire disparaître de l’espace public –et qui plus est du centre de la capitale– les publicités et les vitrines tapageuses.

T.Kurova explique en outre que l’attention du public est à juste titre concentrée sur les enfants; elle considère que les femmes adultes auxquelles elle a à faire en tant que médecin sont bien informées. Elle insiste sur le fait qu’il manque surtout des campagnes d’aide et d’information, hors cadre législatif particulier.
La presse nationale attire fréquemment l’attention des pouvoirs publics sur la faiblesse des moyens des campagnes d’information, de prévention, d’aide aux personnes, sur le manque d’implication du ministère de la Santé, et finalement sur la prise en compte de la prostitution réduite au point de vue de l’ordre public, c’est-à-dire laissée aux soins du ministère de l’Intérieur et à la Police.

Dans ces conditions, les revirements gouvernementaux sont souvent l’occasion d’un amendement des textes (comme cela a été le cas en janvier 2008) mais pas d’un déploiement de moyens supplémentaires réels. Cette nouvelle législation a reçu néanmoins le soutien de la Ville de Riga, de la Police nationale et de la police municipale de Riga. Les principales ONG ont également, non sans réserve, appuyé le projet. Marta dénonce ainsi le texte comme trop faible, ce qui confirme que «l’utilisation sexuelle d’une femme n’est toujours pas un crime en Lettonie».

[1] Il est d’usage de distinguer les régimes prohibitionnistes, les régimes réglementaristes et les régimes abolitionnistes. Voir à ce sujet le rapport d’information du Sénat de 2000: www.senat.fr/rap/r00-209/r00-209.html
[2] Marta, Centre de Ressources pour les Femmes (www.marta.lv), organisation non gouvernementale, créée en 2000, qui coordonne en Lettonie les associations membres du Lobby Européen des Femmes, organisation européenne pour le droit des femmes.
[3] Vestnesis, Règlement sur la limitation de la prostitution, 22 janvier 2008 N°32. Les articles 3 et 4 précisent qu’une personne ne peut donner ou offrir des services sexuels contre de l’argent que dans une pièce d’habitation qui lui appartient ou pour laquelle elle a conclu un contrat de location et qu’il est interdit à toute personne de donner ou d’offrir des services sexuels contre de l’argent ou de prendre ces services dans cette pièce si celle-ci se trouve à moins de 100 mètres d’un lieu d’enseignement ou d’une église, si une personne mineure s’y trouve ou encore si des voisins s’y opposent.
[4] Dialogi.lv, 5 septembre 2005, «Skaistule pie baseina vai meitene uz panela» («Une belle femme au bord de la piscine ou une adolescente contre la boiserie»). Genders est une ONG fondée en 1994 pour lutter contre la diffusion des maladies sexuellement transmissibles parmi les personnes prostituées.
[5] Kristina Dupate, «Vai seksualo pakalpojumu pirceji butu jasoda?» («Faudrait-il punir les acheteurs de services sexuels?»), Politika, 4 novembre 2005.
[6] Baltic Times, 31 janvier 2008.
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