JARI KURRI Vol 2
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JARI KURRI Vol 2
Bonnes et mauvaises plaisanteries
On aurait cependant tort de croire que l'intégration en NHL fut une partie de plaisir pour le Finlandais. Bien sûr, il faut réapprendre un jeu différent, ou plutôt parfois désapprendre ce qu'on lui a enseigné, comme la mobilité des ailiers, qui permutent en Finlande mais bougent beaucoup moins de leur position en Amérique du nord. Mais il n'y a pas que ça. Pour faire comprendre à l'Européen ce qui l'attend, Dave Hunter lui donne un coup de crosse sur la main, petit avant-goût des us et coutumes de la ligue.
Mais le vrai bizutage arrive plus tard, et Jari le redoute car la "tradition" de l'époque consiste à passer au rasoir une certaine pilosité intime. Heureusement, le Finlandais a droit à un sort différent et moins dégradant. Au rasage de mauvais goût se substitue une plaisanterie plus drôle, qui demande de l'organisation et exploite la méconnaissance des lois locales par le petit nouveau. Jari Kurri est invité par ses coéquipiers à une partie de chasse dominicale, où ils sont censés guetter des oiseaux mais au cours de laquelle ils détalent comme des lapins quand surgit la police, qui arrête le jeune Finlandais, tout penaud dans son ridicule accoutrement orange. On lui signale que la chasse est interdite le dimanche dans l'Alberta et qu'il devra rester deux jours en prison. Cela implique de rater le prochain match, et Jari Kurri se demande comment il pourra expliquer ça à son entraîneur. En fait, les policiers sont complices du canular et ils emmènent Jari jusque dans un restaurant, où il comprend enfin à la vue de ses camarades hilares qu'il a été piégé.
Si cette blague ponctuelle est amusante, la façon qu'ont certains joueurs de railler l'anglais hésitant de Jari (qu'il ne comprend quasiment pas à son arrivée mais qu'il développe en regardant... la série Happy Days) l'est beaucoup moins. Matti Hagman a une idée pour leur donner une leçon d'humilité : pendant tout un déplacement, les Finlandais se mettent à parler uniquement dans leur langue natale, au grand étonnement de Gretzky finalement mis dans la confidence. Au retour, Hagman est convoqué par l'entraîneur-manager Glen Sather. Il s'attend au pire mais expose clairement la situation. Il voulait faire comprendre aux Canadiens que tous parlaient certainement moins bien le finnois que Jari ne parlait anglais, et qu'ils étaient bien mal placés pour le tourner en dérision. Sather acquiesce et oblige alors les gros bras Semenko et Brackenbury, les deux principaux railleurs avec Messier, à s'excuser. Les moqueries cesseront dès lors dans les vestiaires.
Jari Kurri n'est pas d'un grand secours à la sélection nationale finlandaise lorsqu'il la rejoint pour la Coupe Canada 1981, ni même lors des championnats du monde 1982, ses derniers avant longtemps car les Oilers seront ensuite trop occupés par les séries finales. Ce passage suffit cependant à exposer ses qualités et à se faire élire meilleur joueur finlandais 1982, une distinction qu'il conservera sans interruption pendant neuf années, jusqu'à ce qu'il quitte Edmonton. Si Kurri a été libéré à temps pour les Mondiaux, c'est que les play-offs de NHL ont été marqués par une nouvelle surprise, où Edmonton était cette fois du mauvais côté de la barrière. Premiers de la saison régulière, les Oilers affrontent le seizième, Los Angeles, et perdent une série marquée par un match incroyable qui restera le pire souvenir de la carrière de Kurri. Il prend dix minutes de méconduite en même temps que Siltanen, et comme il ne reste que neuf minutes à jouer, les deux Finlandais doivent prendre directement la direction des vestiaires. C'est de là qu'ils assistent impuissants, sur un écran de télévision, à la déroute de leurs coéquipiers, qui menaient 5-1 mais qui se font remonter but après but. Kurri et Siltanen reviennent sur le banc pour la prolongation, mais celle-ci tourne court, à l'avantage des Kings.
Edmonton n'est pas encore une équipe de play-offs. Elle a beau faire exploser les compteurs dans une furia offensive inégalée, ce sont les Islanders qui font la loi sur la ligue. Mais à cette dynastie succèdera bientôt une autre, ce n'est qu'une question de temps. Grâce à une influence européenne partielle, les Edmonton Oilers sont en train de révolutionner la NHL en devenant une machine à marquer qui fait la part belle à la finesse technique. Ils régalent le public mais les résultats se font attendre. Il faut d'abord qu'ils s'endurcissent pour répondre aux exigences des joutes éliminatoires.
Mûr pour la Coupe Stanley
La maturation a lieu lors de la saison 1983/84. Jari Kurri y inscrit des buts à la louche, notamment six en un seul match le 19 novembre 1983 contre les New Jersey Devils. Edmonton marque plus cette année-là que n'importe quelle autre équipe dans l'histoire. Pour la première fois, trois coéquipiers marquent cinquante buts en saison régulière : Wayne Gretzky, Glenn Anderson et Jari Kurri. Mais cette domination outrancière ne veut plus rien dire lorsque commencent les play-offs, l'unique heure de vérité. Edmonton arrive en finale, mais sur leur route se dressent à nouveau les Islanders, qu'ils n'ont pas battu lors de leurs douze dernières confrontations. Tout vient à point à qui sait attendre, et la jeunesse désormais mûre a raison de l'expérience. Edmonton, l'équipe la plus européanisée de la NHL, remporte sa première Coupe Stanley, et l'homme qui a marqué le plus de buts dans ces play-offs (14) n'est autre que Jari Kurri, qui en fera sa spécialité.
Le Finlandais est un buteur phénoménal au pourcentage d'efficacité impressionnant dans les lancers. Il a le tir le plus précis de la NHL, c'est Gretzky lui-même qui le dit. Il sait de quoi il parle : quand Wayne et Jari partent en deux contre un, c'est le but assuré. Passe du premier et but imparable du second, c'est écrit comme du papier à musique. Jari Kurri inscrit 71 buts en 1984/85, plus qu'aucun autre ailier avant lui, et est forcément reconnu comme le meilleur ailier droit de la ligue, poste où Mike Bossy était indétrônable. Il fait encore plus fort en finale de la Conférence ouest contre Chicago : douze buts dans la même série, record absolu, de même que ses quatre hat-tricks dans ces play-offs. Mais une marque historique encore plus importante lui tend les bras, celle du plus grand nombre de buts en play-offs inscrits la même année. Ce record qui semble fait pour Kurri est de 19 buts, par Reggie Leach (Philadelphie) en 1976. Avant la finale, justement contre les Philadelphia Flyers, Jari en compte 18. Mais lors des quatre dernières rencontres, il n'engrange que quatre assists, et ce n'est qu'au cinquième et dernier match qu'il trouve le chemin des filets. Il ne fait donc qu'égaler le record, sans le dépasser, la faute à un face-à-face manqué contre le gardien Bob Froese, alors que la victoire était assurée depuis longtemps.
Un attaquant défensif négligé
Avec un tel total, il aurait pu, comme Leach, se voir décerner le trophée Conn-Smythe de meilleur joueur des play-offs, ou même le trophée Hart de meilleur joueur pour l'ensemble de sa saison, s'il n'était pas dans l'ombre de Gretzky. Il n'a qu'un lot de consolation, certes appréciable, le Lady Byng, en hommage à ses qualités sportives et humaines. Un moindre mal. Le vrai scandale, en effet, c'est que Jari Kurri n'ait jamais reçu le trophée Frank Selke du meilleur attaquant défensif. Il y a deux explications à ce qu'il ait été nominé mais jamais vainqueur. Tout d'abord, sa nationalité est un handicap dans les votes, certains électeurs conservateurs rechignant à donner leurs voix à un Européen. Et puis, son impressionnant compteur est tout simplement suspect. Comme si, pour que son travail défensif soit reconnu, il eût fallu qu'il fît abstraction de ses qualités de buteur ! Il faudra l'élection de Sergueï Fedorov en 1994 pour que cette conception restrictive du trophée Selke s'éteigne, mais ce sera trop tard pour Kurri... Son entraîneur Glen Sather n'a lui aucun doute sur le fait qu'il tient là le meilleur attaquant défensif du championnat. Dans une équipe d'Edmonton riche en défenseurs offensifs à la Paul Coffey, un joueur comme Jari Kurri est précieux dans les deux sens de la patinoire, très difficile à passer en un contre un, aussi doué pour couper les lignes de passe adverses que pour s'en ouvrir une avec Gretzky.
Gretzky, qui estime que le Finlandais aurait dû recevoir pas moins de cinq fois le trophée Selke, a déclaré au Edmonton Sun à propos de son fidèle ailier : "Jari Kurri était l'un des joueurs les plus altruistes avec qui j'ai jamais joué. Il aurait pu facilement marquer vingt buts de plus par an s'il avait été plus égoïste. C'était étonnant, surtout dans un club aussi offensif qu'Edmonton, de le voir toujours penser d'abord à la défense avant de songer à l'attaque." Dans son livre My life in Pictures, le n°99 rajoute : "Les gens pensent à lui comme à un buteur, mais il était si bon défensivement qu'il me permettait de tricher sur mes propres responsabilités défensives."
Outre le record de Jari, un autre évènement a eu lieu dans ces play-offs 1985 : le duo Gretzky-Kurri s'est enfin trouvé un troisième homme. Cette position présente un grand avantage, n'importe quel joueur peut y devenir un grand marqueur avec de tels coéquipiers. Mais elle a aussi un inconvénient, c'est que le joueur concerné se sent un peu intrus tant les deux autres s'entendent à merveille sur la glace, et qu'il a donc tendance à les regarder jouer. Ils sont une dizaine à s'y être essayé sans succès, et c'est un Finlandais, Esa Tikkanen, qui est finalement la bonne pioche. Il a débarqué en plein milieu des play-offs, après avoir terminé sa saison avec le HIFK Helsinki. Et comme Glen Sather était un peu fou et un peu génial en ce temps-là, il l'a jeté dans le grand bain, aux côtés de Gretzky et Kurri, après la première manche perdue de la finale. On s'interroge sur la durabilité du trio : Raimo Summanen, un autre compatriote de Kurri, était arrivé de manière tonitruante pour les play-offs l'année précédente, mais il n'avait pas tenu longtemps sur la première ligne en raison de ses carences défensives. Tikkanen sera lui aussi un temps remis en question, mais finira par s'imposer. Lui qui parle d'abord et qui réfléchit après, l'antithèse du calme Kurri en somme, deviendra bel et bien son compagnon attitré et celui de Gretzky.
Encore un but gagnant
Après l'élimination contre le grand rival de l'Alberta, les Calgary Flames, en 1986, Edmonton remporte deux nouveaux titres avec ce trio-là en pointe. Et, comme dans sa prime jeunesse aux championnats d'Europe juniors, Jari Kurri inscrit un but décisif, le plus important de sa carrière. C'est en 1987, Philadelphie a remonté deux manches de retard pour pousser Edmonton à un septième match en finale. Tikkanen gagne son duel contre la bande, Gretzky centre et Jari Kurri, qui a épuisé son stock de crosses faites sur mesure (200 par saison) et joue avec une crosse achetée dans un magasin de sports, trouve la lucarne de Ron Hextall pour son cinquième but gagnant dans ces play-offs, celui qui apporte à Edmonton sa troisième Coupe Stanley.
La quatrième ne tarde pas à suivre, mais l'année 1988 est celle du crève-cœur. Wayne Gretzky est vendu à Los Angeles et beaucoup craignent que les Edmonton Oilers ne s'en remettent pas. Lorsqu'ils sont éliminés en play-offs par... les Los Angeles Kings de Wayne Gretzky, le scepticisme se fait plus fort encore. Jari Kurri est avec Mark Messier le nouveau leader de l'équipe d'Edmonton, qui a perdu le plus grand joueur de tous les temps mais qui prouve que son talent ne se résumait pas au seul n°99. Les Oilers remportent leur cinquième et dernière Coupe Stanley en 1990, en balayant les "Gretzky Kings" en quatre manches sèches au premier tour, puis en ridiculisant Boston en cinq en finale malgré un grand Ray Bourque, exactement comme avant de départ du "Great One". Le jour de ses 30 ans, Jari Kurri se permet d'inscrire trois buts et deux assists en pleine finale de la Coupe Stanley. Après dix années à Edmonton et cinq titres, il estime que la boucle est bouclée.
jimmyolsen- Admin
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