La stratégie du moins-disant social de plus en plus contestée
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La stratégie du moins-disant social de plus en plus contestée
Le lancement du nouveau cycle de la stratégie de Lisbonne (2008-2010) constitue l’un des principaux plats au menu des chefs d’État et de gouvernement des Vingt-Sept réunis depuis hier à Bruxelles. C’est en effet le Conseil européen de Lisbonne qui, en 2000, avait lancé les jalons de cette stratégie. Le but ? Pour 2010, « faire de l’Union européenne l’ensemble mondial le plus dynamique et le plus compétitif, basé sur l’innovation et la connaissance, capable d’accélérer sa croissance économique et de créer davantage d’emplois ainsi qu’une plus grande cohésion sociale », - selon les mots utilisés par le premier ministre portugais d’alors, Antonio Guterres.
La flexibilité en échec
Lors de la dernière session parlementaire, en février, les députés européens se sont d’ores et déjà rendus à l’évidence, l’objectif de se hisser à la place d’économie la plus compétitive du monde ne sera pas réalisé. Ni celui d’atteindre à cette date 3 % de croissance ou de porter à 3 % du PIB des pays membres les dépenses de recherche et développement.
« La Stratégie de Lisbonne ne devrait pas enregistrer de grande évolution lors du sommet européen », estime Yves Bertoncini, chargé de mission au Centre d’analyse stratégique (1). Pour ce, il faudra attendre l’échéance 2010, après les élections européennes de 2009, et la nomination d’une nouvelle Commission européenne. L’enjeu environnemental et le réchauffement climatique devraient cependant faire leur entrée dans les lignes directrices de la stratégie, centrée depuis 2005 sur la croissance et la compétitivité. Selon Bertoncini, la stratégie de Lisbonne part du principe que la création d’un grand marché commun, voulu depuis le traité de Rome, ne suffit plus à assurer la croissance, qu’il faut l’accompagner d’une politique en faveur de la formation, de l’éducation et de la recherche.
Il reste que la principale contradiction à laquelle se heurtent les objectifs de la stratégie de Lisbonne est son intégration aux orientations libérales consacrées dans les différents traités. Au point qu’elle constitue même l’un des instruments de référence aux réformes libérales promues dans les différents pays européens depuis près de dix ans. L’une des lignes directrices de la stratégie souligne d’ailleurs le souci de « veiller à ce que l’évolution des salaires contribue à la stabilité macroéconomique ». Entendez : doit s’inscrire dans une « modération salariale », présentée comme le seul moyen de garantir la sacro-sainte stabilité des prix.
Pour la députée portugaise de la Gauche unie européenne (GUE), Ilda Figueiredo, la stratégie « a mis tout l’accent sur la flexibilité du travail, même si les travailleurs sont devenus plus précaires qu’avant, même si les travailleurs gagnent chaque fois moins ». Ce résultat était logique. « Dans le cadre de politiques de déréglementation, précise la parlementaire communiste portugaise, les grands groupes économiques et de la finance ont un unique défi : gagner un profit chaque fois plus haut. Aujourd’hui, leurs profits sont les plus élevés de ces trente dernières années. »
La dégradation des conditions de travail est telle que le constat est désormais quasi unanimement relevé dans les syndicats. Mercredi, lors d’une conférence de presse, la Confédération européenne des syndicats (CES), qui avait ratifié, en son temps, la stratégie de Lisbonne, a ainsi dressé un bilan critique de la flexibilisation du marché du travail. « La Commission européenne affirme que 6,5 millions de nouveaux emplois ont été créés au cours des deux dernières années, détaille un communiqué de la CES. Or les syndicats des États membres affirment que ces emplois laissent beaucoup à désirer en termes de qualité. »
Dans son rapport, « La qualité de l’emploi en danger », la CES note l’explosion des contrats à durée déterminée (CDD). Ils sont 32 millions sur le territoire de l’UE contre 22 millions en 1997. En France, par exemple, 75 % des nouvelles embauches se font en CDD. Le nombre d’employés à temps partiel a tellement augmenté entre 2001 et 2006 que, malgré des millions d’emplois créés, le taux d’emploi dans l’UE en équivalent temps plein a stagné, de 58,2 % à 58,9 %. Ainsi, en Suède, la part des salariés à temps partiel passe de 19,4 % en 2000 à 24,7 % en 2005. De même, les rémunérations sont pointées du doigt. Quelque 17 millions de salariés vivent sous le seuil de pauvreté.
pour Une autre politique salariale
« Lors du débat sur le contrat première embauche (CPE) en France, la commission des Affaires sociales avait jugé que c’était là une affaire interne à la France, analyse Ronald Janssen, conseiller économique de la CES. En revanche, quand il s’agit de compétitivité, de marché intérieur, la commission intervient. » C’est pourquoi la CES souhaite désormais l’inscription à l’agenda de Lisbonne de la question de l’élargissement de l’acquis social européen. Pour limiter le recours à l’emploi à temps partiel et au CDD, et pour avoir une politique courageuse en matière de salaires.
« Un changement de politique est urgent », prévient pour sa part Ilda Figueiredo, qui suggère que l’UE « donne plus d’attention à la production industrielle et agricole en Europe qu’au fait de défendre le commerce international ». Les parlementaires de la GUE ont déposé en février une résolution qui propose une « vision stratégique alternative », qui donne « la priorité aux investissements publics et privés en faveur de la production », explique la députée. Pour le volet emploi, le document préconise comme fondement, non la flexicurité, mais la promotion de droits et de salaires dignes. Seule manière de relancer effectivement la croissance.
(1) Yves Bertoncini est l’auteur, avec Vanessa Wisnia-Weill de la note de la Fondation Robert-Schuman : « La stratégie de Lisbonne : une voie européenne dans la mondialisation. »
jean françois- Nombre de messages : 89
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