Les villes nouvelles des Etats baltes
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Les villes nouvelles des Etats baltes
Le régime soviétique n’est pas le seul instigateur de la fondation de villes au 20e siècle en Estonie, Lettonie et Lituanie. Après des cités-jardins et des stations de villégiature (Mezaparks à Riga dès 1901, ou sur la côte estonienne dans les années 1920)[1], la formation de nouveaux «établissements urbains» durant les années 1920 et 1930 de la première indépendance assoit principalement le développement économique de la région en valorisant ses ressources naturelles –sur fonds publics et privés, en partie scandinaves. On peut citer la création de Grigiskes près de Vilnius en 1923 pour une nouvelle usine à papier, l’aménagement de différents sites au nord-est de l’Estonie (comté d’Ida-Viru) dès les années 1920 pour l’extraction des schistes bitumineux et la production d’électricité ou encore la fondation de Kegums à partir de 1936 pour la construction et l’exploitation d'une des premières centrales hydro-électriques de Lettonie. Ces différents cas inaugurent avant l’heure la série des villes industrielles de la période soviétique.
Industrialisation et urbanisation forcées
L’intégration, après 1945, des pays baltes à l’Union soviétique requiert la création d’entreprises industrielles et, en particulier, de structures énergétiques géantes qui permettent la reconstruction et créent des interdépendances et des emplois.
En dehors de certaines créations isolées (Naujoji Akmene en Lituanie en 1949 pour les employés d’une cimenterie), les fondations urbaines, en s’appuyant souvent sur une activité et un habitat résiduels, participent au développement urbain et industriel massif de certains territoires. En Ida-Viru dans les années 1940, la création de villes nouvelles est largement pilotée depuis Moscou ou Leningrad (située à une centaine de kilomètres) et amplifie considérablement l’activité naissante détruite par la guerre (à Kohtla-Järve, Kivioli ou Sillamäe).
De la même manière, la croissance de Riga connaît une certaine déconcentration de l’activité industrielle vers des communes proches et au développement encore balbutiant. À la fin des années 1950, ce phénomène est illustré par la délocalisation d’une usine chimique vers Olaine à 20 km au sud de la capitale -sur décision de la République socialiste soviétique de Lettonie- et la création d’une ville nouvelle à Salaspils, substitut à la bourgade engloutie par la retenue artificielle de la nouvelle centrale hydroélectrique.
Par ailleurs, des villes sont fondées au même moment ex nihilo pour l’exploitation de nouvelles centrales électriques: Elektrenai en Lituanie et Stucka (aujourd’hui Aizkraukle) en Lettonie. Leur emplacement entre la capitale et la deuxième ville de chaque pays donne une dimension nationale à ces projets, absente de la création des villes fermées militaires dans l’ouest de la Lettonie (dans les années 1960), ou de celle des villes nucléaires dans les marges orientales, Sillamäe dans les années 1940 en Estonie puis Snieckus (aujourd’hui Visaginas) en Lituanie dans les années 1970[2].
Les restes d’une colonisation?
La création de ces villes intervient en période d’exode rural et de colonisation soviétique. La fermeture ou la spécialisation de certaines d’entre elles (les employés et ouvriers d’Ida-Viru viennent souvent de régions de l’Union aux activités similaires) ont créé parfois des surreprésentations de la minorité russe. On trouvait, en 2000, 75% de russophones (Russes, Biélorusses et Ukrainiens) dans le comté d’Ida-Viru (76% à Kohtla-Järve et 90% à Sillamäe) et 67% à Visaginas (unique exemple en Lituanie)[3].
Hormis certaines villes satellites, comme Olaine (55% en 2007), les autres villes nouvelles présentent une proportion plus faible. En Lettonie, le recensement de 2007 donne un taux de 40% de russophones à Salaspils et 25% à Aizkraukle, alors qu’il dépasse 30% à l’échelle nationale et 40% dans presque toutes les villes d’importance du pays.
Quel type de villes nouvelles ?
En dehors des premières cités ouvrières et des cités-jardins d’influence occidentale, on reconnaît dans ces villes des profils largement développés en Union soviétique à partir des années 1930: leur fonction principale est le logement des employés d’une entreprise industrielle ou d’un centre de recherche. On reconnaît à Sillamäe (années 1940-1950) et Aizkraukle (années 1960) le modèle d’une ville industrielle linéaire développée selon des axes rayonnant à partir de la sortie de l’usine. Salaspils (fin des années 1950) est un pôle de recherche scientifique (dont physique nucléaire), et Visaginas (fin des années 1970) une ville «mono-industrielle» de la dernière génération, un modèle en pleine forêt de l’urbanisation par micro-quartiers (micro-raïons), à 6 km de la centrale nucléaire qu’elle dessert.
Néanmoins, les déconcentrations industrielles ont permis assez vite aux villes productrices d’énergie de diversifier leur activité grâce à une industrie consommatrice: Aizkraukle a maintes fois été reconfigurée durant les années 1960 et 1970, avec en particulier le détachement d’une filiale «téléphone» de l’usine VEF (célèbre combinat électrotechnique national de Lettonie) de Riga. Les villes nouvelles trop spécialisées et trop isolées de leur environnement rural ne se sont pas développées; c’est le cas en Lettonie, de Seda (créée à proximité d’une tourbière en 1953, avec aujourd’hui seulement 1.800 habitants) et des villes fermées de l’ouest de la Lettonie, aujourd’hui abandonnées comme Irbene ou Skrunda-2 (créées dans les années 1960 à proximité de stations de radioastronomie).
Quelle place dans les réseaux urbains nationaux?
En Lituanie, l’aménagement du territoire des années 1970 et 1980 et la situation excentrée de Vilnius ont permis le développement des autres villes. C’est une place assez réduite que les villes nouvelles (de petite taille) ont trouvée dans les interstices du réseau de villes traditionnelles. Visaginas et Naujoji Akmene, situées à 10km des frontières lettone et biélorusse sur des bretelles isolées de chemin de fer, conservent des positions assez marginales dans le réseau urbain lituanien.
En Lettonie, sa position centrale et l’attrait qu’elle a présenté pour les habitants de l’Union ont fait de Riga une métropole de la région baltique. Exception dans l’Union soviétique, l’aire métropolitaine -avec plus d’un million d’habitants- abrite encore la moitié de la population du pays et la majorité des villes nouvelles[4]. Ces villes satellites, situées sur les radiales nationales de communication et au-delà de la ceinture verte, sont relativement autonomes dans leur fonctionnement et se distinguent des cités-dortoirs de la capitale.
La seconde concentration de villes nouvelles des Etats baltes est l’Ida-Viru, comté le plus urbanisé d’Estonie[5], qui présente une série de noyaux urbains et industriels le long de la ligne de chemin de fer reliant Tallinn à Saint-Pétersbourg. Kohtla-Järve est même la 4ème ville du pays. Globalement, le développement urbain de l’Estonie s’est appuyé largement sur les villes nouvelles: elles représentent plus de 10% de la population urbaine, contre 3% dans les deux autres pays.
L’autonomie administrative
Comme dans toute l’URSS, le statut de ville était accordé d’après des critères de taille et d’activité économique. De nombreuses villes nouvelles sont restées longtemps à l’état de coron et même Sillamäe, ville la plus ambitieuse d’un point de vue qualitatif (elle disposait dès ses premières années d’équipements dignes d’une grande ville), mais fermée et dépendante de Moscou, n’a eu aucun droit particulier jusqu’en 1957.
Ces villes ont donc pour la plupart obtenu leur statut dans les années 1960 ou 1970 et certaines sont devenues alors centre administratif régional, comme Aikraukle ou Naujoji Akmene. D’autres n’ont acquis un statut de ville qu’après le recouvrement de l’indépendance, comme Salaspils (avec plus de 20.000 habitants) en 1993.
L’autonomie de ces villes nouvelles –par rapport à la capitale ou aux zones rurales environnantes- pose à nouveau la question de la présence russe. Certains découpages territoriaux isolent de fait des communautés. C’est ce que révèle le découpage territorial du comté d’Ida-Viru (territoires discontinus des villes) ou encore de Visaginas (seule ville-district de cette taille en Lituanie, avec 28.000 habitants), dont le territoire épouse de fait le lieu de résidence de la minorité russophone. L’autonomisation, dans les années 1990, de villes proches de Tallinn isole également des îlots moins mixtes que la capitale (Saue: 95% d’Estoniens ethniques, Maardu: 80% de «russophones»).
Perspectives d’évolution
Peut-on parier sur le développement de villes en phase de perte démographique importante, et qui sont un des symboles des difficultés économiques et sociales de la région?
L’activité fondatrice est encore souvent le plus grand employeur: à Visaginas, la fermeture planifiée de la centrale nucléaire d’Ignalina (qui emploie encore 40% de la population active de la ville) rend l’avenir hasardeux. Les villes enclavées de Lituanie et les villes nouvelles d’Ida-Viru connaissent encore une forte baisse du nombre d’habitants depuis la fin des années 1980.
Néanmoins, la tendance a changé dans les années 2000, et le taux de chômage a été divisé par deux en Ida-Viru. Par ailleurs, les difficultés économiques ne sont pas apparues en 1991 et certaines villes avaient déjà opéré une reconversion totale avant la chute de l’URSS (Sillamäe dès les années 1950). Quelques villes estoniennes audacieuses réussissent ainsi aujourd’hui, avec moins de 20.000 habitants, à concurrencer des villes traditionnelles en attirant des investissements internationaux, comme Maardu (développement du port de Muuga, nouvelle pépinière d’entreprises) ou Sillamäe (développement des hautes technologies, traitement des déchets industriels, création d’un nouveau port en zone franche).
Enfin, certaines villes-satellites des capitales parviennent à profiter des flux migratoires a priori désavantageux et à présenter des taux de croissance démographique positifs en devenant des pôles de croissance suburbaine[6].
La décroissance démographique de la région empêchant a priori à moyen et long termes la fondation de nouveaux établissements urbains sur ces territoires, il y a fort à parier que les villes nouvelles auront été un des derniers jalons de l’urbanisation de la région.
Au prix de quelques disparitions passées ou à venir, ces villes ont réussi à s’affirmer et à acquérir une certaine autonomie par rapport à la capitale dont elles dépendent ou à l’activité industrielle qui les justifie et les contraint. Certaines se comparent même aux grandes villes de la région en développant les hautes technologies, en défendant leur architecture socialiste ou en faisant régulièrement la Une des journaux nationaux. En assumant leur passé en grande partie soviétique, elles illustrent une modernité dérangeante qui s’accorde difficilement avec les valeurs culturelles nationales dites identitaires.
[1] Sont exclues du présent article un certain nombre de communes trop petites (malgré leur statut de ville), mais qu'on pourrait qualifier de villes nouvellles -comme Zilupe en Lettonie ou Moisaküla en Estonie, fondées toutes deux vers 1900 aux abords de nouvelles lignes de chemin de fer.
[2] Marija Dremaite, Mart Kalm, Andis Cinis, «Cities of power: Mono-industrial Towns in the Soviet Baltic States in the 1950s-1980s», XIV International Economic History Congress, Helsinki, 2006, Session 120.
[3] Claire Autin, «Les Etats baltes - Le défi des minorités russophones», Géographie et Cultures n°38 – Conflits et minorité dans l’Europe post-communiste, l’Harmattan, 2001.
[4] Salaspils, Olaine, Aizkraukle, Balozi et Kegums représentent environ 4% de la population de l’aire métropolitaine.
[5] Le taux d’urbanisation du comté est de 85%, soit une population urbaine d’environ 150.000 personnes dont la moitié réside dans des villes nouvelles.
[6] www.stat.ee/, www.csb.gov.lv/, www.stat.gov.lt/: Balozi +15% entre 2000 et 2007, Saue +3% sur la même période et Grigiskes +1% entre 2001 et 2005.
emarcel- Nombre de messages : 38
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Date d'inscription : 09/06/2008
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