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LA LANGUE RUSSE AU KIRGISTHAN

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LA LANGUE RUSSE AU KIRGISTHAN Empty LA LANGUE RUSSE AU KIRGISTHAN

Message  thierry.F Mar 23 Déc - 20:31:24

LA LANGUE RUSSE AU KIRGISTHAN Kg_pag10

L'évocation de l'Asie centrale -région lointaine à l’est de la mer Caspienne, parcourue de déserts et de hautes montagnes- suscite des images floues et stéréotypées: yourtes, nomades à dos de cheval, steppes à perte de vue, Boukhara, Samarcande… Ce à quoi l’on pense moins, ce sont les traces laissées par soixante-dix ans de domination soviétique dans cette partie du monde. A côté des statues de Lénine, de l’architecture socialiste et de la bureaucratie postcommuniste toujours présentes, l’héritage le plus frappant de cette époque reste la présence de la langue russe.

Les frontières actuelles des jeunes républiques d’Asie centrale (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Tadjikistan et Kirghizstan) remontent toutes aux années 1920-1930, période à laquelle les Soviets divisent en petites nations l’ancien Turkestan, rattaché à l’empire des Tsars depuis 1868. Des républiques socialistes et soviétiques naissent, déterminées dans leurs contours par la puissance étrangère russe. Pour parachever cette œuvre, chacune de ces nations est dotée d’une «langue titulaire», ainsi que d’une variante de l’alphabet cyrillique qui lui est propre, destinée à transcrire des sons n’existant pas dans la langue russe. A l’exception du Tadjikistan majoritairement dominé par la langue persane, les habitants d’Asie centrale parlaient jusque-là des dialectes turcs. En l’espace de quelques années seulement, les Soviets imposent cinq nouvelles langues officielles, à la fois voisines mais distinctes.
Très vite, le russe gagne du terrain en Asie centrale, avec l’industrialisation et l’urbanisation naissantes. Pour couvrir de nouveaux domaines techniques, les langues officielles des jeunes nations s’avèrent insuffisantes, alors que le russe compte déjà une multitude de termes spécialisés, eux-mêmes parfois empruntés à d'autres langues, dont l'allemand. S’y ajoute l'arrivée -à la fois volontaire et forcée- de populations, russes notamment, contribuant ainsi à l’homogénéisation ethnique et linguistique des sociétés d’Asie centrale. En 1989, 21,5% de la population du Kirghizstan était d’origine russe. Et comme souvent dans les sociétés colonisées, les populations locales finissent par adopter la langue de la minorité dominante. Pour faire carrière, il faut apprendre le russe. A l’inverse, les Russes du Kirghizstan n’apprennent que très rarement le kirghiz; ils n’en éprouvent tout simplement pas le besoin. C’est ainsi que, dans les années 1980, la première langue de nombreux habitants du Kirghizstan est le russe.

Ce déséquilibre persiste encore aujourd’hui: dans un sondage réalisé en 2003, deux Kirghizes sur trois indiquaient maîtriser le russe, alors que seul 1,6% des Russes interrogés affirmaient parler la langue de leur pays d’adoption. Et ce, malgré les efforts pour revaloriser le kirghiz, proclamé unique langue nationale en 1991, et malgré une vague massive de «kirghization» pour endiguer la russification progressive de la société. Ces quelques années d’élan national n’y auront rien changé: le pays reste profondément multilingue, et le russe continue de dominer dans de nombreux domaines. Or, depuis l’indépendance, la population slave, souvent très éduquée, émigre en masse. Depuis l’indépendance de 1991, plus de la moitié de la population d’origine russe a émigré, passant de 21,8% en 1989 à 9,9% en 2005. En réaction à cette fuite de matière grise, l’Etat, en pleine crise économique, décide en 2000 de proclamer le russe «langue officielle». Le russe est ainsi dans la même position que le français aujourd’hui dans les anciennes colonies françaises d’Afrique occidentale: il est la deuxième langue officielle du pays, à côté du kirghiz, qui est à la fois langue officielle et langue nationale. Dorénavant, libre à tout citoyen de s’adresser aux administrations en cette langue.

En dépit de ces développements récents, le prestige du kirghiz ainsi que son utilisation ont bel et bien progressé depuis 1991. Aujourd’hui, la langue nationale s’emploie à chaque coin de rue de la capitale, Bichkek, pourtant espace le plus «russe» du Kirghizstan (dans les années 1980, la ville était presque entièrement russophone). Aujourd’hui, le système universitaire kirghize est bilingue: dans presque chaque université il existe une filière kirghize et une filière russe. Mais plus de la moitié des étudiants sont inscrits dans cette dernière. Dans presque toutes les universités prestigieuses du pays, le russe prévaut en tant que langue d'enseignement.

Malgré la revalorisation du kirghiz, érigé en symbole de l’identité nationale, et malgré l’érosion progressive du russe constatée dans les régions montagneuses reculées, la langue de l’ancienne URSS est loin d’avoir perdu de son influence. Le voyageur qui visite pour la première fois le pays est d’ailleurs frappé par son omniprésence. Encore aujourd’hui, environ deux-tiers de la population maîtrisent cette langue; plus encore, si l’on prend en compte tous ceux qui ont une connaissance passive du russe. La société kirghize actuelle demeure donc profondément bilingue. Sous les Soviets, le kirghiz fut synonyme de langue de nomades «arriérés». Encore aujourd’hui, le russe reste, malgré tous les efforts de l’Etat, la langue la plus prestigieuse. Et ce prestige va de pair avec l'ascension sociale des individus. Parler russe reste un accélérateur de carrière au Kirghizstan et dans les pays russophones limitrophes. Dans un contexte de crise économique -environ la moitié de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté-, c’est un argument non négligeable. Selon Abdykadyr Orousbaev, professeur de sociolinguistique à l’Université de Bichkek, ce n’est donc pas par manque de patriotisme que nombre de parents kirghizes envoient leur progéniture dans des écoles russes surpeuplées: «Ils sont sérieusement préoccupés de l’avenir de leurs enfants et savent que ne maîtriser qu’une seule langue constitue un mauvais départ dans la vie professionnelle». Rien d’étonnant alors à ce que, depuis dix ans, le nombre d’élèves de russe progresse lentement mais sûrement. De plus, dans un pays multiethnique et multilingue tel que le Kirghizstan, le russe sert aussi de langue de communication interethnique. Les minorités ethniques maîtrisent beaucoup mieux le russe que le kirghiz, ce dernier étant considéré comme la langue des Kirghizes «de souche».

Le russe domine aujourd’hui aussi largement les médias, et particulièrement la télévision. L’accès à l’information globalisée passe quasi uniquement par cette langue, les chaînes locales étant économiquement beaucoup plus faibles. Rien de surprenant alors à ce que certains pays de l’espace post-soviétique raffolent toujours des grandes chaînes de Moscou, en première ligne desquelles Pervyj Kanal et Rossija. Les médias russes -pro-Kremlin cela va sans dire- ont toujours la part belle en Asie centrale. Et ce fait risque d’avoir des incidences non négligeables sur l’avenir du kirghiz et surtout sur la future orientation politique et culturelle du pays. «L’influence qu’ont les médias russophones sur la situation linguistique au Kirghizstan est énorme», assure Emil Jouraev, spécialiste en politique linguistique auprès de l’OSCE à Bichkek. «Maîtriser cette langue est une condition sine qua non pour rester informé. Même à la campagne, tout le monde regarde la télévision russe. Même ceux qui ne parlent pas très bien la langue».

La population kirghize reçoit les nouvelles du monde surtout via les chaînes moscovites. Dès lors est-il étonnant que la plupart des Kirghizes aient une image très positive de la Russie? Celle-ci est considérée comme protectrice, un «grand frère» avec lequel on partage un passé glorieux. Encore aujourd’hui, le 9 mai, date de la victoire contre l’Allemagne nazie, est considéré comme une des fêtes nationales majeures du pays. Vladimir Poutine jouit au Kirghizstan d’une cote de popularité aussi élevée que dans son propre pays. Certains, tel l’ex-Premier ministre kirghize Felix Koulov, rêvent même à voix haute d’une confédération avec la Russie. En outre, la nostalgie du passé soviétique, un passé où le pays n’était pas indépendant mais où il y avait du travail et une protection sociale pour tous, est toujours très présente. Le Kirghizstan ne s’est toujours pas vraiment remis du choc de l’indépendance, les chiffres économiques sont là pour le rappeler.

«C’est à travers le russe que le peuple kirghize a commencé à adopter les valeurs de la ‘civilisation’ occidentale et à s’intégrer dans la communauté internationale», affirme même le politologue Djamalbek Djoumaev, membre de l'ONG Til-Dil, qui milite pourtant pour la réévaluation de la langue kirghize. «Sans le russe, cette intégration aurait été impossible, car c’est le moyen de communication par lequel le Kirghizstan garde le contact avec le monde extérieur. Si l’on abolissait les médias russes, et si la population cessait de comprendre cette langue, le Kirghizstan deviendrait une société totalement isolée, à l’instar de l’Afghanistan».

Tout cela explique pourquoi l’Etat kirghize n’a pas réussi pour l’heure à promouvoir l’utilisation du kirghiz dans toutes les sphères de la société. Le kirghiz a beau être un symbole national de premier ordre, l’inégalité entre les deux langues reste profondément enracinée dans l’esprit des habitants. Par ailleurs, le pays manque d’argent pour mener une politique linguistique pro-kirghize efficace. Vu la grande utilité du russe, la population non-kirghize n’a donc pas d’incitation suffisante pour s’approprier le kirghiz. Pour l’heure, la seule motivation d’apprendre la langue nationale reste la volonté de se «sentir kirghize». D’autant que, grâce au russe, la population s’assure non seulement l’accès à l’information –même si revue et corrigée par Moscou- mais aussi à une des cultures et littératures majeures du monde. Le russe reste donc la langue qui relie les peuples dans cette partie du monde. Non pas la langue de Lénine et de la révolution soviétique mais celle de Pervyj Kanal et de MTV Russie, celle de l’abondance et de la consommation.
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