LE KAZAKHSTAN (Vol 2)
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LE KAZAKHSTAN (Vol 2)
3.3 La période soviétique
En novembre 1917, le chef des Kazakh, Ali Khan Boukeï, demanda l’autonomie pour son pays et forma un éphémère gouvernement nationaliste. L’Armée rouge vainquit en 1919-1920 les troupes russes contre-révolutionnaires réfugiées dans les steppes et occupa le Kazakhstan qui fut proclamé en 1920 République socialiste soviétique autonome des Kirghizes (RSSA).
Celle-ci fut transformée en République socialiste soviétique autonome kazakhe en 1925 puis, en 1936, en République socialiste soviétique du Kazakhstan fédérée de l’URSS, avant de devenir plus simplement la République socialiste soviétique du Kazakhstan. Une politique de sédentarisation forcée des nomades et de collectivisation des terres eut pour résultat de détruire la culture et le mode de vie kazakh. Des centaines de milliers d’habitants furent tués ou s’enfuirent vers la Chine. Le Kazakhstan devint un lieu de relégation des peuples «punis» par Staline en 1943 et 1944, ce qui allait accentuer son caractère pluriethnique.
Durant la période soviétique, la poursuite de l’immigration russe et l’industrialisation dans le cadre de l’économie planifiée de l’URSS ont eu pour effet de rendre la population kazakh minoritaire sur son territoire. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la république du Kazakhstan, éloignée du front de l’Ouest, accueillit de nombreuses usines russes. En 1954, le gouvernement soviétique de Khrouchtchev lança le programme «Terres vierges et inoccupées» afin d’accroître rapidement la superficie de terres ensemencées en Sibérie occidentale et au Kazakhstan, ce qui eut pour effet de faire arriver près de deux millions de Russes au Kazakhstan. En six ans, ceux-ci défrichèrent 25 millions de terres agricoles au Kazakhstan. L'immigration russe réduisit la proportion de Kazakh à 29 % de la population de la région en 1962; ce taux avait presque doublé pour atteindre 53 % en 2001. Pivot géostratégique entre la Russie et l’Asie, le Kazakhstan devint une place forte militaire et nucléaire (quatrième puissance atomique de l’ex-URSS). C’est au Kazakhstan que se déroulèrent la majeure partie des essais nucléaires soviétiques, notamment dans les environs de Semeï.
Sur le plan linguistique, entre 2 % et 5 % des Russes parlaient le kazakh, bien que la majorité des Kazakh pouvaient parler le russe. Par ailleurs, selon les évaluations démolinguistiques de l'époque, quelque 40 % de la population kazakh ne parlait pas couramment le kazakh. Les écoles reflétaient aussi la domination de la langue russe. On comptait deux fois plus d'écoles primaires russes que d'écoles kazakh. Avant l'indépendance, tout l'enseignement supérieur se donnait massivement en russe et le kazakh n'était la langue de l'instruction que pour seulement 17,6 % des étudiants. La langue des affaires demeurait le russe et, pour bien des Kazakh, leur langue maternelle était reléguée au rang de «langue seconde».
Comme en Ukraine et en Biélorussie, les soixante-dix ans du régime soviétique ont fait reculer considérablement la langue kazakh. Encore aujourd'hui, tout le monde parle russe au Kazakhstan. Dans les villes, les citoyens parlent plus volontiers le russe, alors que dans plusieurs villages seules certaines personnes des générations précédentes pratiquent encore le kazakh. Bref, les Kazakh ont subi l'assimilation et la russification de leur langue nationale.
3.4 Le Kazakhstan indépendant
Le Kazakhstan proclama sa souveraineté en octobre 1990 et le Soviet suprême fut dissous en août 1991. Élu président par le Parlement en 1990, puis confirmé à ce poste au suffrage universel avec 95 % des suffrages (le 1er décembre 1991), Noursoultan Nazarbaïev — ancien premier secrétaire du Parti communiste et possédant la septième fortune mondiale — engagea son pays sur la voie de l’indépendance. Le Kazakhstan fut la dernière république d’Asie centrale à proclamer son indépendance, soit le 16 décembre 1991.
Mais le pays se situa parmi les premiers à signer les accords de la constitution de la Communauté des États indépendants (CEI) et du commandement unique des forces stratégiques et conventionnelles. En 1992, le président Nazarbaïev redonna à la capitale, Alma-Alta, l'ancien nom turc qu'elle portait avant la conquête russe: Almaty. Le nouvel État du Kazakhstan adopta sa Constitution en janvier 1993.
Le Kazakhstan mit en place une équipe gouvernementale nationaliste et s’engagea avec pragmatisme dans une transition en douce vers l’économie de marché et la recherche de la stabilité politique. La liberté de parole et de réunion fut accordée à tous les citoyens, sauf aux «extrémistes nationalistes», tant russes que kazakh. Toutes les activités susceptibles de fomenter des troubles ethniques furent interdites. Des relations étroites furent maintenues avec la Russie dans les domaines économiques, militaires et politiques. En mars 1992, les deux pays signèrent un accord octroyant à la Russie le contrôle du cosmodrome de Baïkonour (d'où sont partis le Spoutnik en 1957 et la fusée de Youri Gagarine en 1961), situé à proximité de la mer d’Aral, pour une durée de 99 ans, au prix de 115 millions de dollars US par an.
Depuis l’indépendance, plus aucun essai nucléaire n’a été effectué. Selon les termes du traité de 1992, le Kazakhstan devait détruire toutes ses armes nucléaires ou les transférer sous contrôle russe dans les sept années à venir. En décembre 1993, le Kazakhstan ratifia le traité de non-prolifération nucléaire.
Les premières élections parlementaires qui se tinrent en mars 1994, quoique contestées, accordèrent la majorité au parti du président Nazarbaïev. La détérioration de la situation économique provoqua la démission du premier ministre. La crise politique s’aggrava encore au début de l’année 1995 avec la décision de la Cour constitutionnelle d’invalider le scrutin de mars 1994 pour «vice de procédure». Le Parlement fut dissous par le président Nazarbaïev. Lors du référendum d’avril 1995, ce dernier obtint le prolongement de son mandat présidentiel jusqu’en 2001. La Constitution du 30 août 1995, adoptée par référendum se caractérise par un renforcement des pouvoirs du chef de l’État et par l’introduction du bicamérisme. Inspirée de la Constitution de la Ve République française, la Constitution kazakh fixe les grandes lignes de la politique linguistique de l'État, ce qui orientera la rédaction de plusieurs lois à caractère linguistique.
En 1998, Nazarbaïev transféra les pouvoirs publics de Almaty, appelée auparavant Alma-Ata, à Tselinograd, appelée la «Cité des Terres vierges», une ville située à la fois beaucoup plus au nord et beaucoup plus au centre. Il lui rendit, à elle aussi, son ancien nom kazakh, Akmola, signifiant «Mausolée blanc». Au bout d'un an, le président rebaptisa la capitale Astana, ce qui veut simplement dire «capitale». Le transfert de l'Administration centrale à Astana semble être un signe de règlement de compte avec le passé soviétique dans la mesure où Almaty était la capitale désignée par le Parti communiste soviétique de Moscou.
Le pays connut ensuite un grand malaise social, malgré un bilan positif de la politique d’austérité menée par le gouvernement depuis 1997. Les salaires n’ont pas été payés pendant des mois, les manifestations et les grèves se sont répétées. Ainsi, entre 1992 et 1997, quelque 1,6 million de personnes ont quitté le pays pour des raisons économiques, entraînant ainsi une baisse de la population de presque 200 000 personnes juste en 1997. Toujours en 1998, un accord a été signé entre la Russie, le Kazakhstan et l’Azerbaïdjan sur les conditions de partage des immenses réserves pétrolières de la mer Caspienne. Un autre accord avec la Chine a fixé la démarcation de leur frontière commune. Lors de l’élection présidentielle anticipée du 10 janvier 1999, le président Noursoultan Nazarbaïev a obtenu plus de 80 % des voix; la validité du scrutin a cependant été remise en cause par les instances internationales. En décembre de la même année, réunis à Istanbul au sommet de l’OSCE, le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et la Turquie ont signé un accord pour la construction d’un oléoduc stratégique reliant Bakou (Azerbaïdjan) à Ceyhan (Turquie). Son ouverture était prévue pour 2004.
Ainsi, l'avenir du Kazakhstan semble être lié au pétrole et au gaz naturel. Le Kazakhstan en regorge, notamment autour de la mer Caspienne. La technologie soviétique ne permettait pas d'exploiter adéquatement ces gisements, mais les technologies américaines et européennes, quant à elles, devraient assurer une production importante pendant les premières décennies du XXIe siècle. Des oléoducs et des gazoducs, dont le tracé fait actuellement l'objet d'âpres négociations, devraient acheminer ces hydrocarbures vers les marchés occidentaux.
Malheureusement, les problèmes concernant les droits de l’Homme sont nombreux au Kazakhstan; ils sont d’ailleurs décrits dans les rapports de Human Rights Watch, d’Amnesty International, de l’OSCE ou encore du Département d’État américain. De plus, le pouvoir politique, l’Administration, la police et le monde des affaires semblent intimement liés au Kazakhstan. Ces secteurs sont caractérisés par une corruption généralisée, d'autant plus que le président Nazerbaïev et son clan règnent en maîtres absolus. Par ailleurs, la famille du président contrôle de larges parts de l’industrie, du commerce et même des médias. On ne se surprendra pas que, dans ces conditions, l'omniprésence de l'État dans la vie sociale et politique du Kazakhstan soit incontestée et incontestable. Aux yeux de nombreux observateurs, l'appareil de l'État et son fonctionnement semblent être pratiquement les mêmes qu'à l'époque du régime soviétique.
En 1997, le président Nazerbaïev a publié un ouvrage intitulé Kazakhstan - 2030, qui décrit au peuple l'avenir merveilleux qu'il connaîtra dans une trentaine d'années, à la condition de soutenir les choix du président actuel. Ce texte est devenu l'ouvrage de référence dans tous les milieux officiels. Des affiches ornent les rues des villes, notamment la nouvelle capitale Astana.
4 La politique linguistique de kazakhisation
La politique linguistique du Kazakhstan est liée à l'histoire du pays, notamment en matière de démographie et d'économie. Ainsi, le problème de la distorsion sociologique entre le Nord — en majorité peuplé de groupes de souche européenne (des Russes et des Ukrainiens), plus industrialisé et plus riche — et le Sud — majoritairement kazakh, plus rural et économiquement moins développé — reste fondamental. Dans cette conjoncture où se présente une telle hétérogénéité (démographique, économique et régionale), l'une des priorités du gouvernement du Kazakhstan a consisté à assurer la prééminence du groupe ethnique kazakh dans la nouvelle structure politique issue de l'indépendance.
On parle depuis d'une kazakhisation qui a pris racine peu de temps après l'indépendance et qui vise à développer la langue kazakh en lieu et place de la langue russe, et à réduire au maximum la présence des Russes, notamment au sein de l'Administration publique. C'est pourquoi les premiers effets du processus de kazakhisation engagé par le gouvernement nationaliste d'Astana se sont manifestés uniquement dans le domaine public, car la loi ne réglemente pas l'usage des langues dans les relations personnelles et les organismes religieux. Priorité est accordée aux kazahophones dans les fonctions de l’État et également dans les entreprises, le tout dans un contexte de «retour au pays», avec comme fond idéologique «les Russes en Russie» et «les Kazakh au Kazakhstan». Dans cette perspective, il n’est guère étonnant que le pays ait perdu près de deux millions d’habitants (sur 16 millions) depuis l’indépendance, les Russes étant particulièrement visés.
Le Kazakhstan a défini sa politique linguistique dans la Constitution du 30 août 1995, ainsi que dans plusieurs lois à caractère linguistique, notamment la Décision no 51 sur la mise en oeuvre du Programme d’État pour le développement du kazakh et des autres langues ethniques jusqu'à l'an 2000 (21 janvier 1992), la Loi sur la procédure d'arrangement des discussions économiques par les cours d'arbitrage (17 février 1992), la Loi sur l’éducation (18 janvier 1992), la Loi sur les Forces internes militaires du ministère de l'Intérieur (23 juin 1992), le décret no 2368 sur les douanes (20 juillet 1995), le Décret constitutionnel no 2694 sur les tribunaux et le statut des juges (20 décembre 1995), la Loi sur les langues du 11 juillet 1997 et l'instruction no 343 sur la mise en oeuvre de la Loi sur les langues de la république du Kazakhstan (4 mai 1998). On retiendra que c'est la Loi sur les langues de 1997, qui constitue le fer de lance juridique de la politique linguistique.
De plus, le ministère de la Culture, de l'Information et de l'Entente civique a reçu des «pouvoirs supplémentaires» afin de faire appliquer la politique linguistique. Les fonctionnaires peuvent inspecter le travail de n'importe quel organisme de l'État en ce qui a trait à la politique linguistique, ce qui inclut les réprimandes disciplinaires, les congédiements, voire les accusations criminelles. Par ailleurs, un Bureau public du procureur général de la république du Kazakhstan a été créé au sein du Ministère public (Justice) pour veiller aux vérifications d'ordre juridique dans l'imposition de la langue officielle. Après l'adoption de la Loi sur des langues, le président du Kazakhstan a publié, le 5 octobre 1998, un décret portant sur l'adoption d'un «Programme d'État pour la mise en oeuvre et le développement des langues»; le texte intégral de ce document n'a cependant été publié qu'en mars 1999. Finalement, il est quelque peu surprenant que la loi linguistique du Kazakhstan ne prévoit aucun financement pour mettre en oeuvre la politique linguistique.
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